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Film de Johann Lurf ()

passe au crible plus de cent ans de cinéma, un siècle dépassé petit-à-petit — fortune en accumulation d'images que nous avons toujours trouvées au-dessus de nos têtes —— et que les êtres de demain trouveront une fois encore par-delà leur absence, le ciel d'étoiles ne se découvrant qu'à ceux qui éteignent leur lumière.


Que voir au ciel au cinéma, parfois le temps d'une portion de scène, d’une séquence unique d'images, lorsque rien d'autre que l'espace étoilé n'est représenté ?


La plus vaste — plus inconnue & inénarrable (malgré ô combien de voix graves américaines pour débiter sans cesse, sur un ton identifiable parmi tous, le même discours à propos des astres) — des étendues visuelles appelle sans cesse au regard (un des films extraits l'évoque : citant de près Aristote : « nous préférons, pour ainsi dire, la vue à tout le reste. La cause en est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait acquérir le plus de connaissances, et qui nous fait acquérir le plus de différences. » [Métaphysique, Livre A]), sans se voir complètement oubliée au fil des années, depuis que le Cinéma fait film (c'est-à-dire : particulièrement depuis les années vingt — seulement onze films sélectionnés avant mil neuf cent trente): depuis qu'Il se sait pouvoir montrer des images de ce que l'on ne peut voir, que l'on ne sait comment regarder ; là : quelques films apporteront leur originalité quant à la façon de regarder les étoiles : en couleurs ou en blanc & noir ; cadrage conventionnel, circulaire ou en formes binoculaires ; avec ou sans étoile filante à suivre d'un bord à l'autre de l'écran ; plan fixe se mouvant progressivement, faisant pénétrer le spectateur dans un amas de lumières blanches qui semblent se déplacer en trois dimensions autour de lui ; puis, en accélérant le mouvement (la fameuse séquence de la vitesse de la lumière dans Star Wars, qui sera reprise en nombre), en formes plus ou moins abstraites, déconstruisant l'impression du point lumineux suspendu pour des étoiles dégoulinantes, jusqu'à ce que soit poussé l'imaginaire de ces corps célestes comme des bâtons qui s'effondrent tour-à-tour sur eux-mêmes : stèles tangibles…
Ce qui se passe à l'écran, avec un plan de ciel étoilé — aussi grand angle soit-il : il n'y a éternellement qu'un fragment d'espace re-présentable ; on ne peut que zoomer, en avant ou en arrière, indéfiniment (de ce que permettent les objectifs), dans le noir du temps —, est une image sans narration définie ; l'on se plairait à faire ce long travelling à l'infini actualisable ; nous pourrions, comme nous le permet le jeu-vidéo de David O'Reilly [Everything] repasser par l'infiniment grand à l'infiniment petit ; ou bien ne trouverions-nous, s'y rapprochant, qu'un espace plus sombre encore que nous n'atteindrions qu'à rebours, par transparence mise à nue qui dévoilerait à son tour des horizons lumineux infinis, ne se croisant jamais plus en surbrillance, comme des points de vue qui auraient trop attendus notre regard : l'espace comme quintessence de l'idée d'espace : imparcourable — sinon, en l'absence de temps : dans un mouvement instantané.


Comment se montre alors ce qui dépasse l'échelle de notre regard ? qu'est-ce qui peut y faire film alors que rien ne pourrait se passer dans rien-de-définissable ?


L'exosphère est un espace en vacance du regard cinégraphique, vierge aux yeux-mêmes du commun des mortels ; de cette image complexe à faire exister, nous nous attaquons d'un regard gauche, empruntant tel ou tel morceau ; songeant que « n'est définissable que ce qui n'a pas d'histoire » (Nietzsche, Généalogie de la morale) : nous sommes tranquilles : le ciel n'en appellera pas à la mémoire ; mais le film raconte, il dit ; en cela, une image pure de la voûte céleste appelle inévitablement, à la manière du trou noir, ce néant-aspirateur, le hors-champ ; cette nécessité est particulièrement marquée (puisque pour les quelques films muets nous n'avons, dans la collection de Johann Lurf, ni accès à l'image précédente, ni à la suivante au montage) par la trame sonore : comme exprimée plus haut : une autorité directrice (l'on dénotera à l'oreille [confirmée par la longue liste des citations] la concentration de l'intérêt américain pour l'inaccessible — quand viendraient ensuite, vers l'approche céleste, les japonais —— en omettant la subjectivité [du spectateur ici collecteur, et de l'offre accessible de films réalisés] d'une production cinématographique globalisée), un dialogue amoureux, une musique classique, d'action ou de générique, une observation subjective, un monologue poétique, un bruit, un silence entrecoupé, imité… ; l'image pure d'un ciel ne va, nécessairement, pas sans son manque d'humanité ; nous ne trouvons présence à l'espace étoilé qu'en dehors de celui-ci ; nous n'avons pas atteint (de peur ?) son propre silence, en- & hors-champ, à ces espaces infinis.


Le public idéal est un seul, et le ciel étoilé figure l'absolu d'un spectacle qui s'observe sans personne qui puisse totalement l'embrasser. C'est ainsi qu'il peut encore se voir cinématographié, que les visages humains & les paysages hantent et hanteront le cinéma tant qu'il y aura films, tant qu'il y aura des yeux pour voir et quelqu'un pour s'essayer à ce regard. Le cinéma ne repose pas sur le matérialisme — c'est ce que les plus grands cinéastes auront compris (ne citons que Тарковский) — ; il ne s'agit pas, essentiellement, de faire effets, de jouer avec le réel, mais plutôt d'essayer, par une concentration minimum, de réduire la distance inhérente au médium, cet intermédiaire trop visible, nous rapprochant inexorablement de l'impossible — [Philippe Beck à propos de l'acte poétique :] « Imaginer que le poème comme tel puisse changer le monde en général : ce serait un rêve orphique, déplacé ; le monde n'est pas un poème ; tout ne fait pas poème ; tout n'est pas poétique […]. Hors, le poème [comme le film] est un lieu d'intensification, un lieu où les lieux se pensent de manière particulière. (…) C'est le problème du langage : nous savons à tout moment que les mots peuvent nous couper des choses qui pourtant les déterminent. ».


— Si la langue était spirituelle, Cinéma serait l'anagramme de Sic itur ad astra.

CORPS-ANTI
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le 26 juin 2019

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