En quelques lignes
Au début du XXe siècle, Brian Sweeney Fitzgerald, plus connu sous le nom de Fitzcarraldo, rêve de construire le plus grand opéra du monde à Iquitos, au cœur de l’Amazonie. Pour obtenir l’argent nécessaire à son projet, il achète une concession de caoutchouc le long du fleuve Uycali, réputé inaccessible à cause de violents rapides. Pour atteindre sa concession, Fitzcarraldo choisit de descendre le fleuve Pachitea, séparé de l’Uycali seulement par une montagne...
En un peu plus
Fitzcarraldo fait partie de ces films dont la fiction qu’il met en place semble se fondre, voire se dissoudre, dans le récit du tournage dantesque qui l’a vu naître. Il faut dire qu’une nouvelle collaboration entre le réalisateur Werner Herzog et l’acteur Klaus Kinski n’augurait pas d’horizons calmes. Entre les ambitions démesurées du premier et l’instabilité psychique du second, auxquelles il fallait encore ajouter un plateau fiché au cœur d’une Amazonie péruvienne hostile à tous égards, tout était réuni en effet pour que les plus fameux «ennemis intimes» du cinéma fassent de l’envers du décor, celui qu’habituellement cinéastes et scripts cherchent à faire disparaître, le décor même d’une œuvre de légende à part entière, probablement plus célèbre que le film.
Depuis Aguirre, la colère de Dieu, les deux hommes rompus aux fleuves déchaînés travaillent malgré eux à constituer une œuvre dans laquelle le cinéma devient expérience continue, confuse et torrentielle, où rien ne semble ne pas pouvoir être pris au sérieux, où tout est engagement excessif de corps, de moyens, où tout est souvent engloutissement et chaos, de la présentation initiale du scénario aux conférences de presse. Les notions de «métier» ou de «travail», dans leur relation,
paraissent céder leur place à celle d’aventure poursuivie à cor et à cri jusqu’au cœur des ténèbres. Tout porte à croire en ce sens que si Herzog et Kinski étaient mandatés pour couper un gâteau à l’occasion de l’anniversaire d’un ami commun, ils le feraient avec la même intensité, la machette à la main, avec le même sérieux rageur, et si possible dans des conditions excessivement dangereuses.
Dans son livre La Conquête de l’inutile, Herzog revient sur certains des événements survenus sur le tournage de Fitzcarraldo, durant lequel semblent s’être condensées à l’extrême les forces ambivalentes, à la fois créatrices et destructrices, qui ont traversé son travail de cinéaste et sa collaboration avec Klaus Kinski. On y découvre, entre autres folies, l’auto-amputation à la tronçonneuse d’un employé mordu par un serpent, deux accidents d’avion ayant provoqué de graves problèmes de ravitaillement pour l’équipe, une guerre entre le Pérou et l’Équateur, les caprices de Kinski exigeant de l’eau minérale pour prendre sa douche en pleine jungle, et surtout ses colères noires, déjà fameuses à l’époque, si violentes que les Indiens machiguengas engagés sur le tournage auraient proposé au réalisateur de le tuer gratuitement... sans compter la nécessité de déplacer un bateau à vapeur de 300 tonnes par-dessus une montagne, pour les besoins du scénario.
Des anecdotes célèbres qui relèvent autant du réel que de la fiction, et se mélangent dans ce qu’Herzog a nommé très explicitement «une œuvre de prose, un rêve ou un délire en état de fièvre». La Conquête de l’inutile, plus qu’un journal de tournage, est donc la transposition littéraire d’une expérience presque hallucinatoire, au moins aussi véridique que fantasmée, dont on retrouve finalement la trace et les échos dans une œuvre finale tout aussi délirante, mégalomaniaque, à la fois résultante d’une folie et la mettant en scène, dans une vertigineuse mise en abyme. Reste à savoir si, comme cela a pu lui être reproché, Fitzcarraldo n’est qu’une coquille vide, un film qui « n’exhibe que les restes vitrifiés ou mous d’un projet fou [et] d’un tournage héroïque ». Et si la beauté de cette œuvre ne se logeait pas, justement, dans le sentiment d’inachèvement, de lyrisme et de déliquescence épique qu’elle suscite à son visionnement?
Et en quelques images...
Bande-annonce alternative.