En deux lignes :
A l’annonce d’un décès, un réalisateur italien célèbre se replonge dans ses souvenirs d’enfance.
En un peu plus :
Se penchant sur la vie de l’ambivalent Jules César, Plutarque le met en scène dans une de ces anecdotes rigolotes mais instructives que les Anciens appelaient des exempla. Alors que le politicien romain traversait un village alpin si insignifiant qu’il aurait pu s’agir du prototype de Bourg-Saint-Pierre, on lui demanda pour rire s’il pensait que cette poignée de barbares crottés connaissait une vie politique aussi animée que celle de la Ville éternelle. Et César de répondre tout à fait sérieusement : « Pour ma part, je préférerais être premier ici, que le deuxième à Rome. »
Nuovo Cinema Paradiso raconte l’histoire inverse : celle d’un garçon qui préférerait être le deuxième dans son petit village sicilien que le premier à Rome.
Le petit Totò ne s’y trompe pas : bien que dans son village, le director’s cut soit le fait du curé, le spectacle auquel chacun communie, c’est le cinéma. Son grand pontife, celui par lequel la magie advient, c’est le projectionniste Alfredo, Détenteur des Bobines, Expectorateur du Lion, Oracle de l’Hollywood, Porteur du Saint Marcel. Toute autre promesse de paradis sonne creux pour l’enfant ; l’autel peut bien sauver l’âme, l’école peut bien carabiniériser l’écolier, le père peut bien revenir de la guerre... à quoi bon, s’il faut, profane, trouver close la cabine de projection ?
Ce film d’initiation, deuxième réalisation de Giuseppe Tornatore, ne raconte pas moins la Sicile campagnarde qu’une amitié insolite. Tourné en partie dans sa ville natale (revisitée dans un film éponyme en 2009), il témoigne avec nostalgie du passage du temps, de la manière dont il érode tant les lieux et les mœurs que les gens, n’ayant d’égard ni pour les phénix ni pour l’amour.
Et le public, depuis plus de trente ans, de s’abandonner à son tour à cette rêverie douce-amère à propos d’une Sicile et d’un cinéma qu’il n’a pas vécus, mais que pourtant il connaît. De reconnaître avec émotion, dans une désolation invisible aux yeux des autres, le cinéma qui fut au coin de cette place qui ne reste la même que pour le fou qui, à défaut de vouloir la première place, prétendait à la place tout court : « La piazza è mia ! »
Son succès durable, Nuovo Cinema Paradiso ne le tire-t-il pas du paradoxe qui en forme le cœur ? Le monde change, mais l’éternel détour veut que, dans le réalisateur aussi, sommeille un projectionniste. Le monde change, mais la pellicule est éternelle. Même quand elle prend feu.
Et en quelques images:
Bande-annonce alternative: https://youtu.be/FV55b_a9wx4?feature=shared