En quelques lignes
Manni oublie dans le métro un sac en plastique contenant 100’000 Deutsche Mark qu’il doit à un trafiquant de voitures. Lola, qui devait aller le chercher, s’est fait voler son scooter. Il leur reste vingt minutes pour récupérer l’argent perdu. Lola décide d’aller chercher de l’aide auprès de son père, en courant.
En un peu plus
Et si raconter une histoire, c’était aussi en imaginer les bifurcations possibles ? En déployant trois versions différentes d’une course contre-la-montre dans les rues de Berlin, réduite à l’os en termes narratifs, Lola Rennt prend des airs de Rashômon sous stéroïdes et nous projette dans un univers étrange, fait de réalités alternatives et de boucles temporelles dont l’habillage musical techno – conçu pour l’occasion par le réalisateur Tom Tykwer – accompagne les itérations comme une rengaine entêtante. À poser sans cesse la question de ce qui adviendrait si, Lola Rennt est peut-être d’abord cela : un film un peu quantique qui soumet son récit à l’épreuve de la théorie du chaos et de sa délicieuse imprévisibilité constitutive, un film qui pense aussi, en philosophe expéditif, à ce qui fonde la ligne de nos existences et en organise le déroulement.
Et si le cinéma, ce n’était pas que raconter une histoire, mais aussi proposer quelque chose à voir et à entendre qui soit, en tant que tel, une expérience à part entière ? Lola Rennt, au-delà de sa réflexion sur la liberté de choix et les déterminismes que subissent ou combattent les individus, travaille l’image et le son comme jamais le cinéma allemand (et peut-être mondial) ne l’avait fait auparavant. Dans un délire audio-visuel de tout instant, le film de Tom Tykwer mêle split screens, effets numériques, dessin animé, photographies, regards caméra, mouvements impossibles et musique techno dont l’hybridation produit un objet aussi difforme et inclassable qu’il est obsédant et passionnant. À triturer ainsi son et image, à en explorer les potentialités comme le ferait un gamin curieux et téméraire, Lola Rennt est donc aussi un film esthétique qui, non content d’exploser allégrement le cadre stylistique auquel pouvaient se soumettre nombre de ses prédécesseurs, se paie le luxe de s’ériger en œuvre organique où forme et fond s’épousent parfaitement.
Et si ce qui est à voir et à entendre dans Lola Rennt n’était au fond que cela : l’expression pure et simple du désir ? À voir Lola courir comme une forcenée contre le temps, malgré le temps, pour rattraper le temps (perdu ?), à la voir braver les horloges et leur inéluctable ronde, à voir fuser ses cheveux rouges comme une comète dans les rues berlinoises, à l’entendre crier au point de briser littéralement des verres, à tenter de la suivre lorsqu’elle quitte l’image, devançant la caméra comme si, compressant le temps et l’espace, elle était mue par une énergie supraluminique, on peut se demander si nous ne sommes pas là face à l’amour incarné dans un corps, dans des pieds et leurs foulées désirantes, à un certain rapport au temps et au mouvement qu’on fait tendre vers l’autre, qu’on mobilise pour l’autre, car il est question pour Lola de rejoindre et sauver celui qu’elle aime et qu’elle désire, et il n’est question que de cela, au fond, rappelons-le.
Avec Lola Rennt, pas besoin de choisir entre ces trois perspectives. C’est l’avantage d’un film quantique : il peut être tout et son contraire, en même temps.
Et en quelques images...
Lien vers la bande-annonce alternative.