Dans une interview Pascal Laugier accusait le cinéma américain d'être « communiste » dans le sens où il standardiserait délibérément sa production et réserverait le même traitement aux étrangers pourtant importés à cause de leur talent – comme si la répression de la singularité était un gage de qualité (ou alors, s'agirait-il simplement de sécurité ?). Avec son quatrième film, troisième développé au Canada, il nage en pleine ambivalence. Ghostland est traversé comme aucun autre (The Secret y compris) par les repères de l'Horreur américaine, de celle classique des seventies à la plus contemporaine.
Il contient de nombreux aspects génériques, à commencer par son titre (finalement significatif, mais que tant d'autres pourrait aussi bien porter). Les événements et les éléments de décors ou d'ambiance sont familiers, parfois rappellent aussi les gros morceaux français des années 2000 (notamment Haute tension dans les moments à la campagne hors de la maison). Ce qui fait l'intérêt de Ghostland est justement sa prise de distance avec ces normes, sur lesquelles il se repose comme par opportunisme commercial ou pour des raisons pratiques. Une motivation plus forte encore se ressent : la volonté de saluer les créateurs derrière les substances que le public et les producteurs macèrent et ripolinent. S'il y a des clichés, des univers mis en boîte et des machines à fantaisie -ou simplement à éprouver des sensations fortes- c'est car derrière eux il y a des créateurs. Sincères, passionnés, mégalos et en payant le prix. Mylène Farmer (aux interventions lumineuses), manifestement appréciée par le réalisateur, exprime cette défiance et cet orgueil – au travers de l'injonction « no french » (envoyée par Verra à sa mère) ou de mots réconfortants pour sa fille Elizabeth qui sonnent comme des aveux flatteurs (ou la façon de Laugier d'officialiser son respect pour elle et la désigner comme celle qui accomplit un certain idéal artistique).
L'amour des personnages est peut-être plus fort encore que dans Martyrs (avec pour résultat une Elizabeth par deux fois magnétique). Ghostland nous fait avoir de l'empathie pour cette fille et ses rêves, choisit d'y croire et de les consacrer. Il en tire une belle intensité qui, avec les aspects techniques ou de surface, puis surtout avec le casting resserré, évite au film de basculer vers une certaine banalité. S'il y trempe pour la retourner avec habilité, il s'interdit quelques décollages et gratifications supplémentaires. Les antagonistes n'existent pas par eux-mêmes (c'est la garantie d'une économie psychique pour les victimes, également pour les compatissants jouissant à la perspective d'une revanche même symbolique). L'un a un aspect remarquable (un Roman Polanski à cape, sidérant de près), l'autre est un ogre attardé typique (emmenant l'ensemble du côté de Massacre à la tronçonneuse le commencement, une boucherie et une expérience redoutable), des deux on ne fait que caresser l'univers. Ils sont transformés en objets de conte, lui-même plaqué sur une réalité insupportable – car les faits sont un premier degré de ce film, pas si retors que The Secret mais tout de même malicieux dans sa construction.
La longue première douzaine de minutes, pleine d'effets et de recours vulgaires, apparaît comme un contre-point à la tentative d'évasion et au combat contre le vrai sordide – le choc de la réalité bête et limitative avec la sublimation de la douleur et du désespoir. La référence éculée à Lovecraft est aussi prise à revers – pas d'énième hommage à Ctulhu ou de dégénérés d'Innsmouth au programme, c'est l'homme et l'auteur qui est directement convoqué. Mais ces tours de passe-passe n'empêche pas le film d'avoir sa part de grossièreté – on ne peut pas tremper sans être un peu contaminé ou acceptant. Ghostland est un bon film mais déçoit dans la mesure où son réalisateur revient vers le niveau de Saint-Ange. Laugier est meilleur emporté par la mélancolie ou sa passion des 'abysses' – Martyrs et The Secret posent des questions intimes et presque sacrées, mettent en scène des gens qui y apportent des réponses odieuses – cette attraction-répulsion a nourri deux films remarquables, capables de s'insinuer en vous et de vous remuer encore les tripes après-coup. Ghostland est seulement efficace et sophistiqué, avec un type d'horreur fondé sur la dégradation, le repoussant, tandis que la détresse et l'aliénation passent d'un autre côté – une sorte de drame obstinément doux, chaud et triste. Il refuse d'explorer et de creuser tout son espace, pour se mettre au service de son héroïne – l'idéal et son produit sont jolis.
https://zogarok.wordpress.com/2018/03/18/ghostland/