S'il y a quelque chose de très intéressant dans ce petit film d'horreur qui aurait pu ressembler à n'importe quel autre, c'est sa construction narrative.
En effet, Ghosland repose en grande partie sur la même idée scénaristique que Mulholland Drive : donner à voir les représentations mentales d'un des personnages sans qu'on ne sache jamais où se situe la frontière entre le réel et l'imaginaire.
Dans le film de David Lynch, Betty (la blonde) est une junkie à la dérive qui après avoir tué son amante, la célèbre actrice Rita (la brune), va imaginer la vie quelle aurait pu avoir si elle même avait pu réussir sa vie. Ce rêve - dont on ne comprend la nature qu'à la toute fin- est justement le film auquel on assiste.
Pour en revenir à Ghostland, ce principe de narration à information masquée est adroitement mis en scène car il fonctionne à double sens ! En effet, on assiste au début du film à l'épreuve que subissent deux adolescentes- deux sœurs -agressées dans leur maison de famille par un couple particulièrement démoniaque.
L'issue étant positive - elles réussissent à en réchapper non sans avoir tué le couple de "monstres"- s'ouvre alors une autre histoire, à la faveur d'une ellipse narrative, où l'on découvre ce que ces deux jeunes femmes sont devenues : l'une, Beth, est parvenue au rêve qu'elle s'était fixé lorsqu'elle n'était encore qu'une adolescente, devenir l'égale de H.P Lovecraft, une grande romancière de l'épouvante. La seconde, Véra, est restée à moitié folle auprès de sa mère, elle aussi rescapée de l'agression quinze ans plus tôt.
Or, à l'occasion d'une visite de Beth à sa mère et sa sœur, le cauchemar va reprendre de plus belle dans les mêmes lieux et avec les mêmes protagonistes.
Trois interprétations peuvent expliquer une telle tournure des évènements.
1- L'hypothèse fantastique. Véra revient bien 15 ans plus tard dans la maison du cauchemar et, avec sa sœur et leur mère, subissent l'agression revancharde des fantômes (Ghostland dit le titre) du couple auquel elles avaient eu affaire. Problème, tout s'explique -ce sont des fantômes- mais rien ne s'explique : les deux affreux n'ont rien de l'immatérialité attendue des revenants, au contraire ils sont bien là, en chair et en os.
2- Deuxième hypothèse, nous sommes en fait pour l'essentiel dans un roman ! Les différentes agressions que subissent Beth et Véra ne sont pas réelles mais le fruit de l'imagination débordante de Beth la romancière. L'histoire d'épouvante que l'on verrait ne serait de ce point de vue pas réelle mais la transposition filmée du roman "Ghostland" que Beth vient de finir et qui connait déjà un succès d'édition.
3- Troisième hypothèse, et celle qui me parait la plus intéressante, les ruptures temporelles sont fausses : les parties "Beth adulte/romancière" n'existent pas, elles ne sont que des projections mentales de Beth ado (d'où le rapprochement avec Muholland Drive) dans un futur fantasmé, un futur où elle est devenue la romancière qu'elle aspire être. Dans cette hypothèse, la première agression n'a pas eu la fin heureuse que l'on voit dans le film. En fait, Beth et Véra 'ados n'ont jamais cessées d'être prisonnières des deux monstres, leur mère est bien morte et tout ce que l'on voit du futur - Beth devenue romancière à succès, avec un mari et un petit garçon dans un bel appartement - n'est en réalité que le songe en projection que Beth réalise pour échapper mentalement à la folie furieuse qui s'abat sur elle et sa sœur. Un rêve pour fuir l'horreur.
Deux éléments du scénario viennent accréditer cette hypothèse. Le premier, lorsque Véra réussit à sortir Beth de son rêve mental en lui répétant en boucle "Reviens ! Reviens !!" et que la Beth que l'on découvre est bien la Beth adolescente de même que sa sœur. On comprend alors que Beth rêvait, rêve dans lequel elle replonge lorsqu'elle est entrainée par le tueur à l'étage de la maison. Le deuxième lorsque l'on comprend que les personnes que l'on voit dans la future vie de Beth sont en fait inspirées par des éléments du décor de la chambre où les deux ados sont retenues prisonnières : le beau gars sur le poster (qui a la tête de son "futur" mari), une femme sur une affiche (qui donnera sa tête à une "future" journaliste l'interviewant) ou encore la peinture d'un arlequin (tenue qui habille son "futur" fils). Un peu à la manière de Roger Verbal Kint, alimentant son récit avec ce qu'il voit dans le bureau du flic dans Usual Suspects.
Mais là où la construction narrative est habile, c'est que les deux dernières hypothèses se tiennent : cela peut aussi bien être la romancière qui se sert des visages de son présent - la cérémonie éditoriale - pour les projeter dans son roman (hypothèse 2) ; qu'une ado à l’imagination débridée qui réussit à échapper à une réalité trop insupportable en construisant un rêve à parti d'éléments glanés autour d'elle (hypothèse 3).
Le scénario est de ce point de vue très malin et très bien fait.
Pour le reste, le film enchaine autant de motifs attendus (caméras subjectives, poupées sanglantes et jump scare en veux-tu en voilà...) que d'idées originales (la rencontre avec Lovecraft, le jeu sur la machine à écrire comme arme de sauvegarde dans tous les sens du terme, méchants rappelant les ogres et sorcières des contes de fée (Hansel et Gretel par exemple...).
Un film d'épouvante qui n'a certes rien de révolutionnaire mais qui est en revanche particulièrement bien écrit.
Personnages/interprétation : 7/10
Histoire/scénario/ narration : 9/10
Réalisation/mise en scène : 7/10
7.5/10