Un inventeur plus extravagant que talentueux cherche un cadeau original pour l'anniversaire de son fils, un peu niais mais gentil. Quoi de plus adapté qu'un Mogwaï ? Caché dans le bric-à-brac d'un antiquaire chinois, cette petite boule de poil aux grandes oreilles fascine de par son étrangeté, son caractère inédit et les 3 contre-indications formelles qui l'iconisent :
- « Tu ne l'exposeras pas à la lumière »
- « Jamais tu ne le mouilleras »
- « Sous aucun prétexte tu ne le nourriras après minuit »
Avec « Gremlins », Joe Dante effectue un tour de force : il s'approprie le film familial américain des années 1980 et l'utilise pour se moquer allègrement, pour effectuer la satire de la société qui l'a vu naître en tant que cinéaste. Une société qui est à l'origine-même de la réalisation de son film. Durant sa genèse, le métrage devait montrer cette désinvolture, ce postulat moqueur avec extrémisme - pour le genre en question -, mais la production (notamment Steven Spielberg) recadra le projet pour en faire quelque chose de moins graveleux et de plus gentillet, abandonnant l'idée de plusieurs scènes assez subversives et choquantes pour le spectateur lambda. Ainsi, de potentielles séquences assez déjantées comme la décapitation de personnages furent, à notre plus grand regret, avortées. Cela n'a pas empêché Dante de proposer une comédie horrifique familiale assez succulente qui ne manquera pas de railler jovialement à propos de divers sujets.
Dès que l'histoire débute, le décor est posé, ornementé de caricatures délicieusement désagréables, mais bien ancrées dans la réalité du quotidien des spectateurs (la vieille bourgeoise acariâtre et radine ; Billy, le fils un peu nigaud et sa copine gentillette ; le père qui veut bien faire mais qui est totalement dépassé par les évènements... le tout sur une ambiance « Noël in the USA in the 80's »). En dépit des contraintes, plutôt explicites, liées au Mogwaï et sur le comportement à adopter en possession de ce dernier, le protagoniste - douce représentation de l'adolescent bêta et étourdi - s'empresse d'enfreindre stupidement les trois commandements, l'un après l'autre sans une once d'inquiétude, laissant place à l'intempestive zizanie des Gremlins.
Commence alors le grotesque mais tordant spectacle de ces furies enragées et poilues qui détruisent tout ce qui a le malheur de croiser leur chemin. Les Gremlins ne respectent absolument rien, et s'en est tout bonnement jouissif. Ils crachent fièrement sur toutes les valeurs morales, traditionnelles ou coutumières qui caractérisaient la société américaine des années 1980. Les Gremlins sont des enfants terribles, ils sont teigneux, colériques, insolents, ils ont la rancœur facile et prennent leur pied à causer le malheur des autres. À travers le chaos, ces petites bestioles velues semblent explorer un univers qui leur est inconnu tout en le détruisant, avec l'innocence intangible d'un nouveau-né découvrant la vie. Ils bravent tous les interdits imposés et défendus par une société de plus en plus puritaine et paternaliste. Hédonistes par nature, épicuriens de naissance, les Gremlins ne se refusent rien : ils boivent de l'alcool, ils fument du tabac, ils jouent aux cartes et aux jeux d'argent, ils saccagent tout, ils pillent impunément, ils s'amusent à semer la terreur au sein du voisinage... traumatisant riverains, représentants de la loi et de l'ordre, tant d'hommes et de femmes ébahis devant un tel spectacle d'une folle libération... faisant un massacre dans le quartier, ciblant tout le monde, sans aucune distinction ni jugement.
D'une certaine manière, le film de Dante se moque allègrement et méprise tout un tas de choses : les fêtes de Noël, la notion de « famille », la société de consommation, le peuple américain... jusqu'à l'industrie du cinéma au sens large. Certaines scènes sont devenues absolument mémorables, je pense notamment à celle dans le bar, ou celle dans la salle de cinéma, lorsque le réalisateur attarde sa caméra sur les bouilles hystériques de cette horde duveteuse en plein carnage matériel et idéologique. Ces séquences de destruction transpirent un nihilisme tacite : « tout cela, toute cette société de consommation, toute cette politique, tout cet argent, tous ces gens, tout cela n'a plus de sens ; et il est devenu plus amusant de tout détruire, par pur plaisir débile, jubilatoire, instantané d'être bête et méchant, et aussi violent... qu'il est drôle et divertissant de casser des choses que d'autres ont pris du temps à construire ! »
En outre, nos chers Gremlins sont mis en action par des effets d'animatronique assez convaincants pour l'époque, qui font pâlir la plupart des animations numériques modernes, somme toute, bien souvent médiocres, laides et inconséquentes. Finalement, le film et son propos demeurent assez sympathiques et accessibles à un large public, ce qui n'enlève en rien les aspects positifs de celui-ci. Ceux qui ne relèveront pas le ton sarcastique du métrage s'amuseront tout de même devant un tel spectacle d'autodestruction assumée, gentillette mais hilarante. Avec sa mise en scène et l'ensemble de sa direction artistique, Joe Dante réussit à trouver un équilibre certains entre la critique sociétale, la manifestation des souvenirs de l'enfance et le divertissement familial tous-publics. Des (sou)rires assurés, seul comme à plusieurs.