Prenez Mickey et enfermez le dans une grotte humide, sombre, suintant la vase. Laissez le là un bon siècle, dans l'obscurité, se nourrissant de poissons providentiels attrapés dans les cours d'eau et autres charognes en putréfaction. Patientez. Allez le libérer de ses geôles. Si le résultat ne vous a pas tout de suite sauté à la gueule pour vous dévorer la cervelle, vous pourrez découvrir ce qu'on appelle un gremlin dans sa dernière forme.
Les célèbres oreilles de la souris se seront flétries, ridées, prenant l'apparence fanée d'ailes de chiroptère desséchées. Ses petites mains vêtues de petits gants douillets auront laissé la place à de longs doigts crochus armés de griffes brunâtres en forme de poignards recourbés. Ses petites dents de rongeur seront devenues des crocs acérés, jaunis par les années et tranchants comme une moissonneuse batteuse folle, balafrant sa face ratatinée d'un sourire macabre. Sa verve moralisatrice se sera évaporée, laissant place à une démence furieuse sans but autre que de baffrer, jouer, démolir, déchiqueter, et s'adonner à divers jeux plus ou moins cruels tout en gloussant.
Quoi de plus charmant ?
Voilà une chose que j'aurai repoussé jusqu'à l'extrême limite : Parler de Gremlins. Pas évident de trouver les rares mots justes pour expliquer l'attachement qu'on a pour une oeuvre et un réalisateur. Oh bien sûr j'avais déjà évoqué mon affection pour monsieur Dante lors de nombre d'autres textes sur ses illustres rejetons, mais parler de Gremlins, c'est parler du bonhomme aussi.
Ce mec est taré. Il n'a pas la moindre limite dans son propre univers qu'il est par ailleurs le seul à occuper. Un univers euphorique, glougloutant et ricanant au potentiel de séduction implacable. J'imagine qu'on a tous, au bout d'un moment, plus ou moins un type dont on se sent "proche", dont on aimerait serrer la patte, à qui on voudrait dire "merci" ou ce genre de connerie. Et bien pour moi, ce type serait Joe, le gars qui allie le charme créatif des séries B de monstres aux délirant volcanique des plus beaux cartoons. Un univers d'armées de piranhas bouillonnantes, de loups garous boursouflés, de fourmis géantes, de lapins magiques fripés, de gargouilles ambitieuses, d'araignées métalliques, de mariées écailleuses...
Et au milieu de tout ça trône Gremlins, le film qui montre au mieux l'identité de son créateur sarcastique. Une oeuvre dégoulinante d'une haine amère comme du maquillage baveux en plein désert. Un film qui crache sur Noel, sur la fête, la famille, les gens, jusqu'à l'industrie elle même qui le voit naître. Un film amoureux d'un type rêveur qui décide de titiller la plaie qui gratte en dégobillant une galerie de caricatures savoureusement insupportables en enchaînant des personnages au grotesque mordant jusqu'à la nausée avant de faire débouler son armada de boules de poils se faisant petit à petit scies sauteuses complètement débiles préparant dans la joie leur sanglante et joviale invasion. Au programme : Tout casser parce que c'est rigolo, s'amuser, s'éclater la gueule parce que c'est rigolo, mordre des badauds parce que c'est rigolo, et tester tout un tas d'autres trucs au potentiel tout aussi rigolo comme un gosse un brin trop curieux qui s'amuserait à arracher les ailes d'une mouche, avant d'aller regarder tout en chantonnant une histoire avec d'autres nabots tout aussi cartoonesques groupés autour d'une blafarde donzelle.
Un film qui ne m'avait pas vraiment marqué outre mesure étant gosse. Un film qui m'a foutu une bonne baffe une fois adulte. Je suis tombé amoureux de l'univers de ce type depuis quelques temps déjà, et cette synthèse de tout ce qui en fait le charme profond et la folie sans borne reste inépuisable de saveurs. Aussi nihiliste qu'affectueux, ce monstrueux enfer reste la plus délectable des parades de Dante.