Dans les rues de Los Angeles, entre les grands buildings et les bidonvilles, la société s’anime. Les panneaux publicitaires couvrent les façades, certains se couvrent de bien pendant que d’autres vivent au jour le jour dans des bidonvilles dans l’espoir de connaître des jours meilleurs. Quelque chose, cependant, s’agite. Des ondes parasites viennent brouiller les émissions habituelles, un mouvement semble s’opérer, comme si la vérité allait éclairer… Une invasion est en cours, They Live.
Toujours écarté des studios après l’échec de Jack Burton, John Carpenter écrit le scénario (adapté d’une nouvelle de Ray Faraday Nelson) d’Invasion Los Angeles, et le réalise, avec des moyens très modestes. Mais, par expérience, on sait que c’est dans ce genre de contexte que Carpenter se débrouille le mieux, et parvient à être le plus libre possible. Dès les premiers instants, Carpenter nous montre Roddy « John Nada » Piper marchant, seul, son barda sur le dos, s’avançant vers la ville de Los Angeles. Accompagné d’une musique composée en partie de guitare et d’harmonica, il nous fait penser à ces loups solitaires qui voyageaient de village en village dans nos westerns préférés. Si sa présence était variable dans ses précédents films, l’influence du western est largement visible dans Invasion Los Angeles, qui s’imprègne des codes du genre. De cette première scène, jusqu’aux gunfights, le western est présent, favorisant la mise en avant d’une société toujours basique en dépit des avancées technologiques qu’elle a connu. Une société envers laquelle John Carpenter s’avère très critique, comme d’habitude.
C’est dans le genre de la science-fiction que le cinéaste s’exprime ici. Une science-fiction, certes, mais très ancrée dans la réalité. A la fin des années 80, dans les années Reagan, on encourage la consommation, basée sur une hausse du pouvoir d’achat, et la pop culture des eighties connaît ses grandes heures. Pour Carpenter, le monde ne va pas dans le bon sens, et Invasion Los Angeles représente, avec des moyens efficaces et éloquents, cette image d’un monde mêlant servilité et paranoïa. Comme dans Prince des Ténèbres, c’est à travers un message télévisé brouillé et obscur qu’est tirée la sonnette d’alarme. Pour montrer la vérité, il utilise un objet de mode et un bien de consommation par excellence : les lunettes de soleil, qui permettent d’éviter d’être aveuglé par le soleil tout en cachant, paradoxalement, notre regard de celui des autres. Derrière les affichages publicitaires, les émissions télévisées et les pages de magazines se cachent des messages sous-jacents qui influent directement sur notre cerveau, éradiquant notre libre arbitre, transformant la société américaine, celle des Hommes libres et de l’American Dream, en une vaste fourmilière réduite en esclavage par ses élites.
Il est d’ailleurs intéressant de voir la manière dont cette réalité s’affiche, avec un noir et blanc et une esthétique très « retro », rappelant par moments Metropolis, pour citer un exemple. S’affranchir de la couleur est un moyen, pour Carpenter, de déshabiller le monde mais, aussi, de revenir à un cinéma plus « brut », sans artifices ni maquillages. Non pas que la couleur soit inutile au cinéma, mais que ce dernier est né sans couleur, qu’il a longtemps évolué ainsi, et qu’il permet, souvent, de privilégier le langage par l’image et la lumière, sans autre considération ni éventuel effet superflu. Carpenter est sans cesse dans la confrontation avec une vision du monde qui est supposée œuvrer pour le bien de l’humanité, mais qui ne fait que l’entraîner vers de nouveaux périls. L’oeuvre d’un Mal, incarné ici par des extra-terrestres, mais, surtout, l’argent. Car les extra-terrestres cherchent certes à envahir la Terre, mais ils utilisent l’argent comme outil pour appâter les plus riches, qui utilisent eux-même l’argent pour appâter les plus modestes qui espèrent prospérer à leur tour et ne plus vivre dans le besoin. L’argent corrompt tous les esprits et a fait diverger la société des véritables valeurs qu’elle devrait porter.
Invasion Los Angeles est un film parfaitement dosé, toujours dans la même association entre un divertissement efficace en surface, et un discours puissant derrière. Il y a, peut-être, quelques facilités scénaristiques, des petits défauts, mais c’est un des Carpenter les plus complets, les plus efficaces, tout en étant jouissif. C’est dans ce genre de registre, en étant dans la débrouille, libre de ses mains, que Carpenter est le plus performant. Invasion Los Angeles est, sans aucun doute, un de ses films qui me parlent le plus, un de mes préférés du cinéaste, si ce n’est mon préféré. Il parvient à synthétiser la vision du monde du cinéaste, tant dans le cadre du cinéma, qu’il a pu aborder, entre autres, dans Jack Burton, que de la société, comme dans Assaut et The Thing, que de forces supérieures et insoupçonnées, comme dans Halloween et Prince des Ténèbres. Son discours est on ne peut plus d’actualité alors, faites bien attention à ce que vous regardez, car ce n’est pas forcément ce que vous voyez.