"Si un aventurier, c'est un type qui n'est heureux que quand il nage dans les emmerdements, alors d'accord je suis un aventurier" est une réplique dite par Jean-Paul Belmondo durant sa période Bebel avec L'As des As de Gérard Oury, casse cou intrépide, un faciès reconnaissable par son jeu d'acteur, et sa joie d'amuser la galerie par ses cascades, avec des répliques cultes et cinglantes, ponctuées par des moments de castagnes, tel était une marque de fabrique vendu par tous, où le nom du réalisateur était oublié pour profiter en gros caractères le nom BELMONDO. Du côté de la critique cinématographique, il n'a pas été tant rendu hommage que ça, le résumant à un acteur populaire sans plus, regrettant les films issues de la Nouvelle Vague comme A Bout de Souffles, ou ceux de grands réalisateurs comme Léon Morin Prêtre de Melville, ne reconnaissant pas à sa juste valeur ses qualités d'acteur. Cependant, Itinéraire d'un Enfant Gâté arrive pile dans une période de creux où le public montre une perte d'intérêt à son égard à cause de la répétition de ses rôles durant les années 80. Ainsi, Jean-Paul Belmondo n'a pu retrouver la reconnaissance du public et même de la critique, à la fois par le biais du théâtre grâce à Robert Hossein, et également par le cinéma de Claude Lelouch, réalisateur dont son influence n'est plus à douter, étant donné que Tarantino et Woody Allen se sont inspirés respectivement du Voyou en 1970 et d'Un Homme et Une femme en 1969. Or la rencontre entre ces deux monstres sacrés fait sens, ayant chacun vécu une aventure personnelle qui les a forgé, passant d'un enfant gâté à un lion.


La citation d'Albert Cohen « Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte » va caractériser l'enjeu du film afin de comprendre la personnalité de Sam Lion interprété par Belmondo, qui malgré sa bonne humeur, se sent seul et même coupable, pensant aider ses enfants en disparaissant au milieu de la mer, leur laissant le champ libre pour se créer une personnalité qui leur soit propre. Cependant, cela ne doit pas être la seule raison pour laquelle il souhaite partir, puisqu'il est tout comme Belmondo pour sa carrière en manque de sensation forte, se lassant de sa vie professionnel afin de retrouver ses souvenirs passés, notamment ceux du cirque ("Dès qu'on rentre dans une phase où l'on fait des choses pour la deuxième, la troisième ou la quatrième fois, on diminue énormément le plaisir. Si l'on est attaché à son enfance, si l'on est nostalgique de son enfance, c'est parce que c'est la période de sa vie où l'on a fait le plus de choses pour la première fois." Claude Lelouch, Interview dans la revue *Séquences* n°139). Or le rapport au cirque nous est établi dès le départ, où nous alternons grâce au montage et par le biais des vagues de la mer, entre le présent et le passé du personnage, ayant été trapéziste et voltigeur équestre où leurs mouvements vont s'accorder avec le bateau de Sam. Ce dernier est un personnage romantique, décrit comme désintéressé de la société et de ses aspirations, il vit en marge des règles établis, et s'écarte de sa situation stable pour des sentiments propres qui vont s'exprimer par des rêves qui s'infiltrent dans la réalité, notamment la réapparition de son ancienne femme morte à cause d'un accident, la prenant en photo devant les touristes. La nature va être primordial puisqu'elle va amener à retrouver qui il était, le confrontant à lui-même, et non sous le prisme d'un regard admiratif de son entourage et de même, cela lui permet de retrouver ce que la réussite l'a fait perdre, l'amitié et l'amour. 

L'intérêt du film est de voir l'évolution d'un personnage qui a déjà vécu, et qui nous étonne par les leçons qu'il nous donne, où nous comprenons son statut de guide qu'au travers de la fin. Au départ, malgré son âge, Sam est un enfant gâté, puis devient plus sage par la confrontation avec le personnage d'Albert joué par Richard Anconina, qui lui commence son récit initiatique pour devenir aussi fort que son maître, n'ayant plus peur de faire face aux lions. Par ailleurs, les lions ne s'intéressent qu'aux proies qui ont peur d'eux, et cette confrontation faite entre Belmondo et un lion nous terrifie par la posture de l'acteur qui l'a fait sans trucage, où l'animal s'est écarté sans faire attention à lui. Le rapport entre lui et l'animal permet de penser au récit de Candide de Voltaire par le fait qu'il retourne de là où il vient, vers le lieu où provient son nom Sam Lion (Donné dans le récit au cirque après avoir été abandonné par sa mère). Or, le lion qui peut avoir une position noble, montrant le personnage comme un roi, est ici traité comme une vision de nous-mêmes ("Il n'y a pas de pire salopard que le lion. Il est lâche, fainéant, il n'attaque que les plus faibles, il fait travailler les lionnes, ce n'est pas pour rien qu'il est le roi de la jungle. Sam prend un plaisir fou à regarder tous les défauts des êtres humains sans passer par les êtres humains. Le lion le renseigne sur les êtres humains mieux que les êtres humains. Si on a tous cette fascination pour les fauves, c'est parce qu'en les regardant, on sent qu'on ne regarde pas simplement un animal, on regarde quelque chose de terriblement troublant." Claude Lelouch). Le personnage a énormément vécu, et décide de cultiver son jardin, en menant une vie retirée dans une place simple, où le travail va permettre "de l'écarter de l'ennui, du vice, et du besoin" ("Le cirque est là comme étant les racines de Sam Lion. Pour lui, la vie est un cirque. Le personnage est un enfant trouvé, abandonné à la porte d'un cirque, alors qu'il aurait très bien pu être abandonné à la porte d'une église. Je crois qu'il a plus de chance ainsi. Dans un cirque, on apprend tout. J'ai toujours été fasciné par les gens du cirque. Sur cette piste ronde qui ressemble à la terre, on apprend aussi bien l'équilibre que la force et le courage. La vie est donc un cirque, c 'est donc aussi un jeu. Quand un homme est en forme, tout devient simple; el quand ça ne va pas, la vie est une punition." Claude Lelouch). Par ailleurs, cette figure de Candide correspond également au personnage d'Albert qui au départ est naïf, puis en voyageant il commence par penser, en reconnaissant Sam qui est censé être mort, et enfin après avoir retenu les leçons de ce dernier, il va cultiver son propre jardin c'est-à-dire sa pensée, lui permettant de dompter le monde qui l'entoure. Or l'interprétation de Jean-Paul Belmondo est d'autant plus fort, par le fait que le film lui a permis d'être reconnu à sa juste valeur. Au départ, il est traité comme un enfant gâté par les jurys du Conservatoire National d'Art Dramatique qui ne l'ont pas récompensé et qui ont été donc sifflé par le public. Belmondo a probablement eu le sentiment d'être dans l'ombre de son père, lui aussi artiste sculpteur, et va s'en écarter pour former sa propre personnalité. Son caractère enfant gâté pourrait être ses cascades qui sont de plus en plus dangereuses à tel point qu'il en est sorti blessé lors du tournage d'Hold Up de Alexandre Arcady, mais devient un lion par son retour au théâtre, à des rôles plus intimistes au cinéma, et l'arrivé d'une considération de la part de la critique avec le César du meilleur acteur en 1989.


De plus, l'enfant gâté qui est devenu un lion pourrait s'appliquer chez le metteur en scène Claude Lelouch qui a tout appris par ses propres manières le métier de cinéaste, s'inspirant des plus grands, particulièrement Mikhaïl Kalatozov (Quand Passent les Cigognes est un pilier dans les influences diverses qu'a reçu Claude Lelouch). Ce dernier est connu pour ses longs-métrages qui sont des prouesses techniques et narratives, et a influencé la démarche de Lelouch dans sa façon de faire où chaque film se différencie par l'ambition du visuel et du récit. Dans ce long-métrage, Lelouch va exploiter deux échelles de plans qui indiquent notre attention aux détails. Par exemple, les plans d'ensemble vont offrir comme le dit le réalisateur une sorte de "démocratie chez le spectateur" où il a la capacité de porter son regard dans n'importe quel endroit du champ, ce qui est le cas pour les îles explorées par Sam qui le rendent plus humain en le mettant dans une échelle insignifiante dans un milieu naturel, tranchant radicalement avec le rôle de chef d'entreprise. Par la suite, Lelouch compose son film avec également des gros plans qui sont pour lui "une dictature du metteur en scène" étant donné que nous pouvons porter notre regard que sur l'acteur. Le réalisateur exploite la captation du mouvement permettant d'offrir une forme de lyrisme au sein du personnage. Par exemple, les images en ralenti de la lionne ou du guépard servent à montrer l'obsession de Sam à vouloir être aussi libre qu'eux. Itinéraire d'un Enfant Gâté illustre parfaitement les obsessions de son réalisateur, puisque Claude Lelouch affirme dans une interview que toutes ses productions peuvent être renommer "Un Homme et Une Femme", "Partir revenir", ou Les Uns et les Autres". Tous ses personnages souhaitent s'enfuir, et font des rencontres qui les bousculent dans leurs visions. Jean-Louis Trintignant dans Un Homme et Une Femme est un amoureux de vitesse où, tout comme Belmondo dans son navire, il semble être à l'écart du monde qui l'entoure, jusqu'à la rencontre d'Anouk Aimée, accompagnée par la musique de Francis Lai diminuant la vitesse de l'image et du personnage. Parallèlement, Francis Lai possède une importance dans la filmographie de Lelouch, épousant l'ambiance et pourquoi pas également dire les couleurs des images. La symphonie du thème principal du film soulève le personnage en une figure mythique, voulant dompter le monde qui l'entoure. Le travail du chef opérateur Jean Yves Le Mener est à souligner, réussissant à délivrer au film des couleurs semblables à du Van Gogh, particulièrement Le Champ de Blé de 1890 à cause des teintes jaunâtres et des coups violents du pinceaux du peintre, donnant la sensation brutale du vent. Claude Lelouch le fait de la même manière par sa maîtrise total de la caméra, de l'échelle de plan, du rythme de défilement des images, et du montage.

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le 22 juin 2021

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