Attention avant de lire cette critique, il faut avoir vu le film pour avoir tous les éléments de l'intrigue en tête.
Passé du statut d'auteur sous bis de magazine de pulp, à celui de classique littéraire, Howard Philips Lovecraft continue toujours d'influencer les univers fantastiques ou horrifiques au travers de ses peurs qu'ils transposent dans ses nouvelles. L'effroi issue de son inconscient va être tangible parce qu'en étant associée à un monstre décrit parfaitement dans ses formes les plus indescriptibles, il nous procure ce même sentiment en faisant le geste de dessiner un être qu'on souhaite oublier. Or c'est ce qui participe de la crainte de tous, savoir qu'une chose existe dans notre plan de vie, alors que toutes nos connaissances scientifiques et logiques nous indiquent le contraire. Ainsi, si ce qu'il nous différencie des autres êtres vivants sur Terre, n'est plus applicable, nous sommes donc condamnés par une force qui nous dépasse, nous ramenant à notre posture d'être insignifiant. Malheureusement, mis à part John Carpenter qui traumatise également par l'inexplicable, très peu de longs-métrages ont su traduire ce qui fait la force de l'imaginaire Lovecraftien, comme Guillermo Del Toro souvent cité sous cette influence, mais qui reste positif en l'humanité. Pour une perte total de la conscience humaine où la peur va révéler ce qu'il est réellement, il faut amener le spectateur à se méfier des sentiments pouvant être vains, et à perdre la notion d'identité. Cette gradation dans la folie doit être vécue avec le personnage, ayant besoin lui aussi de toutes les clés de compréhension pour au final que son conscient meurt par ce qu'il ne comprends pas à cause d'un savoir interdit. Nous devons avoir cette impression que peu importe le défilement du temps à l'image, le destin est déjà scellé par une divinité décrite sous des traits de monstre. Cette sensation de l'implacable se ressent dans l'écriture et la réalisation de Possession d'Andrzej Zulawski, sorti en 1981, qui traumatise par une paranoïa sourde qu'on est en incapacité de le crier.
Tout d'abord, l'indicible peur va s'incruster au sein même de l'image et de la mise en scène. Une impression grouille chez le spectateur de se dire à lui-même quelque chose ne va pas. Cette effroi dans le plan va s'exprimer par le milieu urbain dès le départ, le réalisateur nous installant un Berlin meurtri, délabré et marqué par la présence du mur, afin de lier l'actualité sombre à un récit fantastique, et nous installer surtout la peur de l'être humain dans ce qu'il peut produire de terrible par l'aliénation de l'autre. Cela est renforcé par la musique d'Andrzej Korzynski où chaque note lourde offre une pression psychologique. Cette dernière est importante car Zulawski a réfléchi dans la manière de traumatiser, qui va devoir passer par la psychologie, dans le but de limiter notre tolérance à ce qui se passe à l'écran. Les cries, et les moments de silence malsains ne sont qu'une étape dans l'impression de mourir intérieurement. Or cette lividité dans la vie humaine va imprégner par l'utilisation de la lumière et de la couleur, qui tous deux, apportent une sensation dépressive par les vêtements gris du personnage de Mark, joué par Sam Neill, ou même des murs des bâtiments. On peut également noter que la couleur bleue nuit du personnage de Anna, interprétée par Isabelle Adjani, participe à sa psychologie qui se répercute également chez nous, représentant le gouffre, les abysses. Cette lourdeur dans l'image va être renforcée par la réalisation, où la caméra opère en mouvement les trajets des personnages, alternant entre plan taille et gros plan, donnant l'impression qu'ils soient réellement limités dans leurs déplacements. Egalement, la caméra portée renforce l'idée d'observation, voir même le fait que les personnages soient coincés. Ainsi, les différentes caractéristiques que l'on peut souligner au départ, vont évoluer, prendre une nouvelle forme afin d'aborder la peur sous un angle plus viscéral. Ce n'est plus une pression psychologique, Zulawski relance la position du spectateur pour ressentir cette fois-ci une douleur physique. Grâce au travail du chef opérateur, Bruno Nuytten, nous passons à une clarté dans l'image, où sa blancheur donne une sensation d'aveuglement, ou même de folie, mais également, nous pouvons aller dans sa noirceur, particulièrement lorsque nous allons dans la maison du monstre. D'un côté, nous rajoutons à la fois le vert, symbolisant la maladie ou l'envie, et le jaune qui va tendre vers le vice, la jalousie, ou le sentiment de trahison. Deux couleurs qui ont un sens dans le récit, le personnage de Mark voulant surtout se venger de Anna, se sentant trahi par elle, mais également il va finir par partager la même obsession qu'elle pour la créature. La multiplication de plongée et contre plongée, ou même l'intensification du mouvement va nous faire pleinement adhérer à cette idée qu'on est rien, que le destin est scellé, ne nous laissant plus libre court à la liberté du regard. Ici nous subissons ce que nous voyons. Par ailleurs, Zulawski nous fait subir la profondeur de la caméra, qui est soit confronté au manque d'espace nous contraignant dans le plan, ou encore qui est vide, le ciel, l'infinité de la ville, ou même l'abstraction du couloir du métro, n'offrant pas de fin dans le cadre. Ensuite, la peur indicible va aussi s'opérer sur le corps humain, la sueur, la crasse, la fatigue qui marquent les personnages, sans moyen d'expliquer la raison de cette dégradation si brutale. La scène du métro avec Anna qui quitte complètement toute logique, perdant toute notion humaine, voit son intégrité physique se détruire intérieurement comme possédée par une chose plus grande, où tous les liquides de son corps se mélangent.
Ainsi, le récit de Possession va surtout se concentrer sur l'identité humaine qui se dissout, perdant tous ce qu'il le caractérise. Le personnage de Anna semble être déjà tombé, son regard n'est plus celui de quelqu'un pleinement conscient de lui-même, mais plutôt celui d'un possédé. Que ce soit après la dispute avec Mark avec sa bouche en sang, ou encore lorsqu'elle commence à parler ou à sous-entendre qu'elle n'est plus elle-même, le regard caméra sur Isabelle Adjani nous fait comprendre qu'elle est déjà dans les abysses, ne sachant plus ses sentiments envers Mark, et basculant dans une cruauté latente, particulièrement lors de la scène d'entraînement à la danse, faisant souffrir par la même occasion que l'enfant, le spectateur. Cette déconstruction des caractères se fait aussi chez Mark, tombant en dépression, son corps sent la crasse et la puanteur, mais cache également une colère sourde, prête à exploser lorsqu'il traverse le couloir de son appartement. Anna et Mark sont des personnages de pures traditions Lovecraftiennes, où on remarque chez eux une fragmentation de la personnalité, une impression de multiplicité par la figure du double, et une attirance pour le mal qui peut-être intérieur, mais aussi pour un mal plus profond, voir même divin. Zulawski nous le fait ressentir par l'impression de rupture constante dans le rythme et dans le rapport avec le plan précédent, et même la succession des images à l'écran semble se dissocier, se contredire. Les mouvements de rotations pour renforcer la possession d'un élément qui dépasse toute logique, nous font comprendre cette peur constante : est-ce que je suis moi-même, offrant une névrose, une agitation par la caméra. Notre perception de l'œuvre de Zulawski semble être perturbée à cause de cette pensée constante que chaque scène se voit seule comme une séquence à part entière, et que les personnages agissent aléatoirement, mais quoiqu'il advienne, le hasard dans le comportement humain, mis à genou par ses impulsions, va finir par devenir logique dans son esprit. Cette fin où ce monstre prend la forme de Mark, une nouvelle figure du double, pourrait être lui en réalité, sinon comment expliquer le fait qu'il souhaite posséder Hellen, double de Anna, toujours jouée par Adjani, caractérisée comme pure, libre et surtout comme une porte de sortie, et aussi son fils Bob. Le monstre a dû capter les sentiments de Mark, reprenant ses pensées et ses envies, et décidant de reprendre ce que possédait le personnage principal. Le monstre est juste une évolution de l'être humain, possédant ce que nous avons de plus mauvais, ce n'est pas la fin de Mark, mais juste sa transformation. Par ailleurs, cette dernière séquence avec Hellen qui regarde intensément la caméra, pourrait nous indiquer qu'en réalité elle était aussi un monstre.
Par ailleurs, ce monstre n'est pas Lovecraftien, sous prétexte qu'il possède un physique innommable avec ses tentacules, mais parce que cette force traitée comme divin par Mark et Anna, nous renvoie à nous-mêmes. Qui est véritablement le monstre dans cette histoire ? Cette question se pose à cause de cette caméra portée qui suit constamment les personnages, comme implacable, donnant aux spectateurs une position d'un monstre invisible. Par exemple, la scène du métro avec la destruction de Anna offre une impression que c'est la caméra qui la possède. Parallèlement, le monstre symbolise à la fois la désillusion du couple, et la séparation d'un pays à cause du totalitarisme, et par conséquent il représente le mur. Le monstre s'immisce dans la ville de Berlin, nous étouffant par le fait que le rapport entre les individus se dissout par ce système totalitaire, par la présence du mur au cours du récit. Par ailleurs, cette amertume en l'âme humaine se ressent dans la mise en scène, et par conséquent, la créature tentaculaire pourrait représenter la colère, et l'effroi chez le réalisateur Zulawski, issue de la Pologne, connu pour ses multiples fractures, maintes fois occupés par une autre puissance, et durant la Guerre froide, le pays est sous le contrôle de l'Union Soviétique. Le réalisateur a souffert de ce système, ayant plusieurs fois été censuré par les autorités polonaises. Possession nous obsède par sa fin qui n'offre pas de réponse, mais le récit reste ancrer par ce qu'il nous laisse comme émotion, une sorte de perte de foi en l'humanité, dévoilant son véritable visage, sa monstruosité, en figeant l'intensité du moment, marqué par le bombardement, l'enfant qui plonge sans que nous puissions savoir si il va sortir de l'eau, et surtout le regard d'Isabelle Adjani. La figure d'ange se change en démon.