Bercé par la douce et mélancolique musique yé-yé de l'époque chantant les amours perdues et l'insouciance de la jeunesse, Je la connaissais bien met admirablement en scène les femmes, ici superficielles, vaines et en quête de popularité avec en arrière-plan un univers masculin phallocrate, arrogant et prépotent ne leur concédant de place que dans un lit ou dans un morceau de publicité.
Personnage romantique, mélancolique, éternellement insatisfaite, évoluant dans un monde de rêves et se confrontant tragiquement à la rigueur cruelle de la réalité, Adriana (la magnifique Stefania Sandrelli) incarne cette jeunesse éternelle, brillante de tant de beauté et ridicule de tant de vacuité. Oiseau de nuit adorant la danse rock'n'roll, les disques, les beaux apprêts, la coquetterie, la séduction, la compagnie masculine et les revues de mode, elle a définitivement rompu avec son passé (fille de paysans provinciaux) et veut édifier un futur fait de gloire. Pour ce «quart d'heure de célébrité», elle est prête à poser dans des publicités, quitte à, par métonymie, être réduite à une paire de jambes ou à une bouche. Si le personnage n'y parvient pas, l'actrice, elle, est magistralement captée dans son innocence, sa simplicité et sa langueur par le regard de Nannuzzi (photographe ayant collaboré avec Visconti, E. Scola ou Sergio Leone entre autres) parmi un monde narcissique, matériel et matérialiste très pop art fait de reflets, de paquets de cigarettes, de voitures décapotables de luxe, de cinquecento, de robes extravagantes ou élégantes et de meuble de design italien.
La photographie et l'excellent cadrage participent au grand soin apporté à la mise en scène dont les flash-back pertinemment introduits, la construction parfaite d'un récit montrant l'évolution progressive d'une jeune coiffeuse devenant mannequin – passant paradoxalement de la lumière (du jour) à l'obscurité (des nuits) - , la réflexion sur le paraître sont les pierres de voûte. Si la fin insoupçonnée (seuls les derniers plans nous en donne le signe) surprend et peut traduire chez Pietrangeli qui hésite entre la comédie et le drame une tentation un peu trop simpliste du traitement du personnage et du vide intérieur qui couve au milieu des rires et de la légèreté de vivre, le reste du film est nettement maîtrisé et renvoie à des grandes œuvres comme Huit et Demi, à l'époque dorée d'un cinéma italien qui régnait alors sans conteste.