"There's only two things in this world that a real man needs: a cup of coffee and a good smoke".

Sans la parution récente de l’excellent article sur Ecran Large des 20 meilleurs westerns (selon la Rédaction), j’aurais continué de croire que Johnny Guitare ne pouvait faire référence à nul autre qu’à ce chanteur de rock 'n’roll français, adulé du public et dont les récentes funérailles nationales étaient pharaoniques.


Signé Nicholas Ray (La fureur de vivre, Hair, …) il s’agit pourtant d’un magnifique western, le premier du réalisateur (suivent l’année suivante A l’ombre des potences, puis en 1957 Le Brigand bien-aimé), mais déjà son neuvième film derrière la caméra.


Le titre du film fait référence au personnage de Johnny Logan, cowboy solitaire qui a abandonné depuis quelques années son ceinturon et ses pistolets au profit d’une guitare qui ne le quitte plus. Son nom de famille, qui fait toujours frémir les vieux pistoleros du secteur, s’est progressivement effacé au profit de son instrument, un peu à la manière de mon cowboy préféré, l’Homme à l’harmonica d’Il était une fois dans l’Ouest.
Dès l’ouverture du film – son arrivée dans une petite bourgade de l’Ouest – le ton du western est donné : depuis les montagnes, nous assistons tour à tour avec Johnny au dynamitage de pans entiers de colline par des chercheurs d'or ou d'argent, ainsi qu’à une attaque rondement menée de diligence. En quelques plans impeccablement maîtrisés, la scène d’exposition ancre le récit dans un décor constitué de magnifiques paysages montagneux, et nous promet de l’action comme on aime.


Le scénario de Johnny Guitare est relativement complexe pour un western. Il ne s’agit pas d’une quête, tel qu’on peut par exemple le voir dans La prisonnière du désert (récupérer une femme enlevée par des Indiens) ou dans Josey Wales hors-la-loi (la vengeance contre les assassins de sa femme). Ici, le passé et le présent se mêlent intelligemment.


Johnny Logan est embauché par Vienna, une femme qu’il a fréquenté et failli épouser dans le passé, pour jouer de la guitare et animer son saloon. Vienna, grâce à une confidence sur l’oreiller, a appris que le chemin de fer allait passer sous peu dans la vallée, et y a acheté des terres afin d’y construire un jeune village et une gare. Mais elle doit faire face à Emma Small, puissante femme hargneuse et jalouse, qui la hait en raison de sa relation amoureuse avec Dancing Kid, beau mec local à la recherche de filons d’argent.
Les hostilités éclatent quand Emma, soutenue par les habitants du bourg, accuse Dancing Kid et Vienna d’être les auteurs de l’attaque de la diligence qui a couté la vie à son frère.


Malgré son titre, le film n’est pas véritablement centré sur le personnage de Johnny, mais plutôt sur les conséquences qu’engendre la querelle entre les deux femmes.
Un western que l’on pourrait presque qualifier de "féminin", porté par deux immenses actrices : Joan Crawford dans le rôle de Vienna, les traits tirés et dirigeant son affaire d’une main sévère ; et Mercedes McCambridge dans la peau d’Emma Small, qui joue à la perfection la femme détestable, infecte et aigrie.
Un peu comme Alexis Manenti, qu’on ne peut que détester après avoir vu Les Misérables de Ladj Ly, j’ai vraiment eu envie de baffer cette femme au visionnage de Johnny Guitare !
Féminin, le western l'est également dans le gunfight final, qui oppose les deux femmes sur la terrasse d’un chalet, tandis que tous les hommes restent simplement spectateurs des événements, en contrebas.


Réalisé d’une main de maître, certaines séquences marqueront mon imaginaire associé au western. Je retiendrai particulièrement l’attention apporté par Nicholas Ray aux détails lors des moments de tension, comme ce verre qui roule doucement sur le comptoir du saloon et est adroitement rattrapé in extremis lors de la première rencontre au saloon ; les grands moyens de production mis en œuvre lors de la scène de l’incendie final ; et bien sûr cette image marquante de Vienna, en robe blanche immaculée, jouant un air de piano triste dans son saloon devenu vide, attendant que les hommes d’Emma et du Marshall viennent la chercher pour la pendre.


Enfin, petite trivia intéressante, Jean-Luc Godard rend hommage au film de Ray au début de Pierrot le fou. Répondant à sa femme qui lui dit que si les enfants ne sont pas couchés, c'est parce qu'il les a autorisés une troisième fois à aller au cinéma, Ferdinand, le personnage joué par Jean-Paul Belmondo réplique : « Pour la troisième fois au cinéma… Évidemment, ils jouent Johnny Guitare en bas, il faut bien qu'ils s'instruisent ! »


Johnny Guitare est un western unique en son genre, empreint de romantisme et de fatalité, servi par des acteurs au sommet, et une photographie magnifique.
Un petit bijou à découvrir !

Créée

le 24 févr. 2021

Critique lue 160 fois

9 j'aime

D. Styx

Écrit par

Critique lue 160 fois

9

D'autres avis sur Johnny Guitare

Johnny Guitare
SanFelice
10

A trouble maker

Je ne suis pas un admirateur de la Nouvelle-Vague. Ni des films qu'ils ont faits, ni des choses qu'il sont pu écrire. Cependant, une des rares fois où je suis tombé d'accord avec ces brigands de...

le 31 janv. 2018

40 j'aime

6

Johnny Guitare
guyness
4

Avec sa guitare, Johnny à l'idée...

... de faire oublier son passé de terreur de la gâchette. Et c'est à peu près la seule bonne du film. Bon, ceux d'entre vous qui me font le plaisir infini de lire régulièrement mes modestes critiques...

le 9 juin 2012

39 j'aime

11

Johnny Guitare
Ugly
6

Les jupons éclipsent les cowboys

En s'appuyant sur un scénario bien écrit du talentueux Philip Yordan, Nicholas Ray réalise un classique du western et semble rester fidèle aux conventions du genre ; ça débute en effet comme tout...

Par

le 20 avr. 2017

26 j'aime

16

Du même critique

Annette
D-Styx
10

Adam Driver and the Cursed Child !

Vraiment, ça faisait bien longtemps qu'on n'avait pas vu autant de cinéma dans un film ! Une proposition si singulière, un long métrage de cet ampleur ! Quel plaisir de découvrir en Ouverture de...

le 2 juin 2022

44 j'aime

13

Road House
D-Styx
7

Jake l'éventreur

Je suis surpris de lire autant d’avis aussi négatifs sur Road House. Certes, clamer au chef d’œuvre serait légèrement disproportionné, mais j’avoue que je n’ai pas passé un moment déplaisant en...

le 25 mars 2024

40 j'aime

6

Bob Marley: One Love
D-Styx
8

One Love, One Heart, One Destiny !

Les biopics musicaux ont bien souvent un point commun : celui d’être décriés à leur sortie, car jamais assez proche de la réalité, de la vie de l’artiste, de l’image que l’on s’en fait. Mais en...

le 12 févr. 2024

38 j'aime

6