Derrière l'humilité ascétique de Jour de Colère se cache ce qui conduira aux plus grandes tragédies de l'humanité, c'est-à-dire la justification du Mal, celui-ci empruntant ses plus hideuses formes, de l'envie à l'adultère en passant par l’impiété puis l'assassinat. Dreyer, réalise avec une économie de moyens matériels et de dimension romanesque une œuvre profonde et troublante, dont chaque plan démontre un soin visuel considérable.
Un seul et même décor (ou presque), des costumes qui ne changent jamais, de rares accessoires, des dialogues comptés au centime près, une technique plutôt modeste: Jour de Colère se distingue avant tout par son austérité matérielle.
Mais pas seulement. Au point de vue romanesque, le nom d'austérité peut aussi être évoquer. En effet, Jour de Colère se révèle a priori plutôt avare en rebondissements et en émotions, ce qui se reflète dans les expressions mesurées des personnages ainsi que dans leurs dialogues frugaux. Néanmoins, le destin tragique qu'augure la sorcière guette les personnages et ceux-ci, qui s'opposent tous, quoique à des degrés différents, entretiennent des tensions constantes que la lenteur du film apaise mais que le silence oppressant couve comme une menace. En effet, dans ce silence profond se trouve tapies toutes les peurs primaires qui menacent à chaque instant de sortir, sorte de couperet au-dessus de leur tête. Les sons hors-champ (horloges, vent, …) approfondissent ce sentiment d'angoisse lancinant que seules quelques escapades parmi la verte campagne atténuent. Puis quand cette tension atteint son climax, la fureur se déchaîne et la fatalité s'abat, comme il avait été annoncé.
Le travail considérable sur l'image (clair-obscur, éclairage, cadrage, picturalisation - influence de l'école hollandaise) et la mise en scène (rapports de pouvoir illustrés dans la spatialisation des corps) illustrent cette dualité morale parmi laquelle baigne tous les personnages qui, bien qu'ils revendiquent un héritage religieux et prétendent suivre le Bien, ont tous les mains sales et un crime sur la conscience (soulignons de ce fait que Dreyer parvient à éviter le manichéisme de l'époque). Humanité perdue, rongée par le Mal, derrière ce microcosme représentatif il est difficile de ne pas percevoir derrière la chasse aux sorcières une réflexion dissimulée sur la 2ème guerre mondiale évoquant le Génocide et les heures sombres de la collaboration (dénonciation, acharnement, tortures, absence de justice, …).
Un très bon film, avec une énorme force intérieure, angoissant à souhaits, qui montre sous ses apparats trompeurs l'Homme dans sa plus grande cruauté.