Dès la sortie du livre écrit par John Niven en 2008, Kill Your Friends avait déjà tout de l’ersatz d’un American Psycho dopé à l’insolence britannique. Seul l’univers change, délaissant la finance pour entrer dans le milieu -pourri jusqu’à la moelle- de l’industrie du disque. Pourri tant par les individus qui la composent que par ceux qui régissent la musique mainstream d’aujourd’hui. C’est peu de dire que le milieu y est fidèlement décrit puisque John Niven a travaillé pendant une dizaine d’années au sein de maisons de disque. Il signe ici le scénario de cette adaptation, ne souhaitant pas lui voir échapper le contrôle artistique de son œuvre. A la tête du projet, on trouve un novice du long métrage en la personne d’Owen Harris dont les faits d’armes sont plutôt à trouver du côté de la télévision, avec la réalisation d’épisodes de Black Mirror ou Misfits. En attendant le téléfilm très attendu de la BBC, The Gamechangers qui reviendra sur la genèse de Grand Theft Auto avec Daniel Radcliff et Bill Paxton à l’affiche. En tête de la distribution, on retrouve l’omniprésent Nicholas Hoult qui confirme avoir parfaitement su prendre le virage de la célébrité après la série Skins et les nombreux blockbusters dans lesquels il incarnait un second couteau. Après Mad Max : Fury Road et Dark Places, il revient à l’affiche d’un film prêt à le propulser au rang des stars influentes, à l’instar de Christian Bale qui avait explosé médiatiquement après American Psycho. Nicholas Hoult va même jusqu’à occuper le poste de producteur exécutif, témoignant d’une volonté de conserver un droit sur son image. Après avoir occupé des rôles majeurs dans des blockbusters divers et variés (la saga X-Men, Warm Bodies, Jack le chasseur de géants ou Le Choc des Titans), le comédien semble désormais vouloir jongler avec des films plus indépendants, en dehors de la machine hollywoodienne. Après ces rôles qui l’ont constamment mis en avant, il bouscule ici son image, incarnant un personnage vil, détestable et complètement malade, tiraillé par une ambition forcenée qui semble le dépasser. Mais pas sûr qu’une telle équipe ne suffise pour transcender une histoire aux airs de déjà-vu.


Tout se déroule en 1997. La musique britpop devient de plus en plus populaire alors que les Spice Girls, au top de leur gloire, donnent le « la » à la tendance « girls band ». Et dans les souterrains des clubs, les DJs deviennent les rois de la nuit, et la dance envahit les ondes radios. Dans l’industrie du disque, plus que dans tout autre milieu, il semblerait que la qualité des œuvres musicales ne soit pas la priorité des majors qui ne cherchent qu’à dominer le marché en répondant à la demande. Le seul but est donc de faire de l’argent en balançant sur toutes les radios nationales des morceaux avec juste ce qu’il faut de talent (ou de communication) pour faire tourner la machine à fric infernale. En ce sens, Nicholas Hoult représente ce qu’il y a de pire dans le milieu artistique. Un dénicheur de talent imbuvable, sans aucune considération pour la musique, ne cherchant qu’à repérer les Beatles de demain. Seule l’ambition et l’euphorie des soirées sous ecstasy semblent animer ce personnage odieux et m’en-foutiste. Le parfait anti-héros donc. Sauf que malgré le talent convenable de Nicholas Hoult, le personnage trouve vite ses limites et ne devient qu’une resucée de l’image typique de l’anti-héros psychopathe que l’on a déjà pu voir dans American Psycho, Filth (Ordure !) ou même Night Call, mais en moins bien.


Dès lors le film s’enlise dans un schéma linéaire où notre personnage manigance des plans pour parvenir à ses fins. Dans sa quête vers le poste rêvé de Directeur Artistique, on suit l’évolution du personnage sans déplaisir mais également sans passion. A deux reprises, le poste lui échappe au profit de gens plus ou moins qualifiés. Si Kill Your Friends aurait pu devenir parfaitement jouissif à l’instant où démarrent le massacre et les fourberies, le récit a le malheur de laisser retomber le soufflé et l’intrigue retourne à la case départ, soit une compétition fade entre Nicholas Hoult et le nouveau Directeur Artistique. Un peu vain, prévisible et surtout rapidement répétitif. John Niven n’est malheureusement pas Bret Easton Ellis. Il y a bien une tentative inattendue de pimenter les enjeux et de tendre vers un triangle infernal par le biais d’un personnage féminin plus malin qu’il n’y paraît. Mais le tout se révèle trop anecdotique, si ce n’est pour injecter une bonne dose d’humour noir finale. Il faut néanmoins reconnaître à John Niven un certain sens du dialogue, tant les répliques s’avèrent vives et percutantes. Il y a ce style corrosif à la londonienne hautement jubilatoire, celui-là même qui a rendu célèbre des cinéastes comme Danny Boyle ou Guy Ritchie. On ne s’ennuie pourtant jamais devant ce film satirique, dont le dynamisme lui permet de faire passer un bon moment sans jamais sublimer notre intérêt. Owen Harris fait du cinéma, et il le fait bien mais sans ambition, ni personnalité. Si la mise en scène électrique donne un cachet au film, il faut reconnaître que la photographie offre de trop rares moments de beauté. Quelques couleurs parfument l’esthétique des scènes mais jamais le film ne parvient à sublimer un sujet acidulé qui aurait mérité un traitement visuel plus développé.


Kill Your Friends aboutit sur le principe déjà-vu mais toujours aussi pertinent du cycle sans fin. Peu importe l’acheminement, l’ascension hiérarchique n’est qu’un schéma cyclique, chaque poste étant constamment convoité par un nouvel arrivant. On pourrait dire la même chose du film d’Owen Harris, tant il se contente de reprendre le même modèle que ses aînées. On lui préférera cependant American Psycho ou le récent Filth avec un James McAvoy beaucoup plus habité par un rôle dément et dont l’originalité venait de la puissance épileptique de sa mise en scène, de sa trame narrative non-linéaire et de son rebondissement final renversant. Si Kill Your Friends dépeint le milieu des labels du disque britanniques, on regrettera qu’il ne s’agisse que d’une caricature sulfureuse -certes- mais déjà vue et trop peu survolée pour en garder un souvenir impérissable. On préférera attendre la très-attendue série Vinyl de Martin Scorsese, qui reviendra sur les coulisses d’une maison de disques fictive dans le New-York des seventies. Qu’à cela ne tienne, Kill Your Friends reste un film britannique acide qui s’apprécie même s’il ne marquera sans doute pas les esprits. Tout juste retiendra-t-on la capacité de Nicholas Hoult à tenir un tel rôle sur ses seules épaules. On lui souhaite d’évoluer à l’avenir dans des rôles aussi pertinents et habités.


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Softon
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le 13 sept. 2015

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Kévin List

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