Jean Vigo était un réalisateur français très controversé au début du XXe siècle (positions anarchistes, pacifistes et anti-patriotiques), dont certaines œuvres ont été censurées par le gouvernement français. L'Atalante est son seul long-métrage (après les courts/moyens A propos de Nice, Taris roi de l'eau, Zéro de conduite), son exploitation en salles s'achevant une semaine avant que Vigo ne meurt de la tuberculose, à seulement 29 ans en 1934. Depuis sa sortie, L'Atalante a lui-même été souvent coupé et remonté.
C'est l'un des emblèmes du réalisme poétique, courant dominant du cinéma français dans les années 1930, soit dans les premiers temps du parlant et jusqu'à la seconde guerre mondiale. Influencé par le naturalisme, l'expressionnisme et dans une moindre mesure du surréalisme, le réalisme poétique plongeait dans les milieux populaires avec des personnages tragiques ; a-posteriori on pourrait le définir comme un pendant authentique et social du film noir américain, se plaçant aux frontières du fantastique.
L'Atalante raconte l'apprentissage de l'amour d'un jeune couple fraîchement marié. En s'engageant avec Jean, Juliette s'engage aussi pour la vie sur une péniche, dont il est le patron. Il y a une tierce personne sur le navire : le père Jules, vieux matelot et commis de Jean, un peu grillé par l'alcool mais toujours réceptif. Pathétique mais solide, ce personnage arrive au terme d'une vie de joie et de liberté. Sa philosophie et sa douceur réussissent à apaiser Juliette.
Le lyrisme profond de L'Atalante est relayé par une science technique avancée et originale. Cet envoûtement opère par exemple dans l'usage de la voix-off, lorsque Juliette se rappele des mots du garçon euphorique lui promettant Paris, pendant que son mari la ramène à la réalité. L'ensemble baigne dans un climat sensuel, à la fois lunaire et terrien et certaines scènes versent tout près de l'onirisme. La dernière partie notamment est marquée par des temps de déconnexion, où la narration se fait abstraite, mais jamais cryptée.
Le voyage représente une initiation à la vie marginale pour Juliette et le défi de plonger dans l'univers de l'autre pour les deux aspirants amoureux. Chacun cherche des signes et tâche de se dépasser, consultant éventuellement quelques oracles. Cette aventure peut sembler paradoxale, à la fois simple et idéaliste, épanouissant et morose, comme toutes ces belles scènes au parfum fataliste mais pourtant heureux (celle enfantine et grave avec le pantin).
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