Dans le cadre de cette époque du cinéma italien, on peut se lancer dans L'Emploi en croyant avoir affaire à une forme de néoréalisme plus ou moins classique. Si la toute première partie peut donner raison sous certains aspects, en se concentrant sur la famille d'un jeune fils d'ouvrier à travers la promiscuité qui règne au sein du foyer, cette grille de lecture s’avérera très vite caduque. Ermanno Olmi trace son chemin dans une direction étonnante, émouvante, et bien difficile à anticiper.
L'emploi du titre, c'est ce qui est au centre d'un récit d'apprentissage, celui de Domeneco, interprété par Sandro Panseri avec une tendresse bien curieuse, presque atone, lui qui semble invariablement partagé entre mollesse et incompréhension. La représentation de son état d'esprit incertain, comme s'il baignait constamment dans un flou dense, est excellente. On ne saura jamais vraiment ce qu'il en pense sincèrement, de cette batterie de tests stupides qu'on lui fait passer comme concours d'entrée dans une grande entreprise milanaise, de son rapport à la hiérarchie ou même à ses collègues, et plus généralement de son fameux emploi. La seule chose dont on est sûr, à la fin, c'est que Domeneco a clairement tourné le dos à son adolescence, finies l'innocence et l’insouciance, en étant devenu un employé de bureau comme tant d'autres. Un poste qu'il n'occupe ni franchement par dépit, ni par véritable choix personnel : un peu par défaut, poussé par des contraintes diverses. Une trajectoire désespérément banale.
Le monde du travail est d'abord décrit comme le lieu de l'étrange et de l'absurde, avec ces tests intellectuels bizarres (une heure pour calculer 620 x 3/4 x 4/5), ces examens physiques incongrus, et ces entretiens qui ne font à aucun moment sens ("L'avenir vous semble-t-il sans espoir ? Est-ce que le sexe opposé vous répugne ? Buvez-vous souvent pour oublier vos problèmes ?"). Mais il y fera également la rencontre d'une jeune fille aussi paumée que lui, et il s'en rapprochera jusqu'à ce que les lois de l'entreprise les séparent en les affectant à des départements différents. Le néoréalisme des débuts est ainsi très vite laissé de côté, pour laisser place tour à tour à un humour noir et absurde, ainsi qu'à une forme de romantisme très léger, toujours très en retrait.
On ne comprendra jamais ce qui motive l'ascension des différents échelons, ce qui se trame derrière les nombreux changements d'affectation, et toutes ces décisions sont observées avec une douce ironie, avec beaucoup de recul. Domeneco se soumet docilement aux différentes injonctions, mais on ne connaîtra jamais véritablement le fond de sa pensée, même si on ressent avec vigueur le décalage profond entre la promesse initiale d'une vie meilleure et la réalité de la vie "active" dans tout son prosaïsme, auquel il ne semblera pas réagir (la scène du manteau bien trop grand est à ce titre éloquente). Une approche délicate qui permet au film de rester sensible, intelligible, drôle et pertinent encore aujourd'hui, en dépit des transformations profondes du monde du travail depuis le milieu du XXe siècle.
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