Grand poème lyrique, L'enfance d'Ivan chante les désenchantements d'une jeunesse sacrifiée pour le bien de la nation, prête à mourir en martyr avant d'avoir vécu. Bien qu'il s'agisse d'un film traitant de la guerre, la dimension épique est presque absente du premier long-métrage de Tarkovsky, le sujet sensible étant mis au premier plan au profit de l'objet historique.
Les deux scènes liminaires résument à elles seules le regard du réalisateur: au début, dans un travelling vertical haut, on élève le point de vue au niveau du sommet des arbres peu avant qu'Ivan ne s'élève à son tour dans une vision onirique au-dessus des bois en volant. On chante la légèreté de l'enfance dont l'air est le milieu parmi le chant des coucous et les rires d'Ivan; la douceur de vivre dont la mère est la garante, à la fois lorsqu'elle porte l'eau fraîche qui le désaltère ou lorsqu'elle apparaît, filmée en contre-plongée, comme une figure douée d'une aura solaire; la poétique et charmante innocence de l'enfant qui cherche une étoile dans un seau d'eau pure puisée dans le ventre de la terre, métaphore d'un âge encore préservé des corruptions des adultes.
Puis vient le règne de la terre, de la boue, des marécages. La nuit peuplée de grandes ombres éclipse les étoiles symbolisant l'espoir et plonge cette humanité dans une pénombre indémêlable. Quelques lueurs de lampes à huile et de poêles auprès desquels reposent des soldats déjà enfermés sous-terre hantent ce froid glacial dans un silence troublé par la tension de l'attente: attente d'une attaque adverse, de l'éclatement de la guerre, de la grande nuit. La peur de l'autre rive est le brouillard tenace qui plane sur leur sommeil – on pense à la référence mythologique du Styx pour comprendre le sens poétique de cette autre rive qui les obsède. Malgré de rares rêves, eux mêmes agités par la crainte du désastre, malgré la présence absurde de la femme infirmière, malgré l'alcool, la distraction semble impossible et impuissante à détourner les esprits du destin implacable qui les guette.
Les allemands perdront la seconde guerre à Stalingrad, comme tout le monde le sait, et capituleront. Les cendres tombent sur les corps des morts et des vivants – qui eux aussi sont morts, dira Sartre – suite au feu des combats, aux corps des vaincus délibérément immolés par le feu, aux catastrophes innommables des fours crématoires. Ivan, éclaireur, atteindra l'autre bord, comme l'enfant de Les Planches Courbes de Bonnefoy. L'eau l'aura-t-il englouti, la terre avalé? Un travelling horizontal, qui s'oppose au premier plan, vous le dira.