Il y a tellement de films qui sortent chaque semaine au cinéma qu’il est bien difficile de tenir la cadence, rien que pour parvenir à suivre les grosses sorties dont tout le monde parle. Cela nous condamne, fatalement, à rater certaines d’entre elles, mais surtout quelques films plus discrets qui mériteraient autant d’attention. Je l’ai vue plusieurs fois, la bande-annonce de L’Insulte. Un film libanais, voilà qui avait pour mérite de changer un peu, et pour ne rien gâcher, la bande-annonce était très attrayante. Mais il fallait pouvoir aller le voir. Et les circonstances me l’ont finalement permis. Tant mieux, car j’aurais vraiment raté quelque chose, probablement mon film préféré de l’année jusqu’ici.
Nous voici donc immergés, à notre époque, à Beyrouth, capitale libanaise. Deux hommes, de cultures et d’origines différentes, vont se rencontrer sur un malheureux hasard et va s’ensuivre un remue-ménage rocambolesque qui ira jusqu’à concerner les plus hautes strates de la sphère politique du pays. Il ne va pas s’agir de faire un résumé du film, les enjeux de ce dernier étant déjà relativement clairs à travers la lecture de son synopsis et du visionnage de sa bande-annonce. Les deux personnages principaux, Toni, libanais chrétien, et Yasser, réfugié palestinien, vivent dans un pays encore fragilisé par une longue guerre civile, et en proie à de vives tensions sociales et identitaires. Véritables archétypes et symboles de ces dernières, ils servent de support à ce film qui se présente comme une fable humaniste.
Tout le malaise de la situation s’avère catalysé par l’impossibilité des deux hommes à communiquer entre eux, qu’il s’agisse d’orgueil ou, simplement, d’écarts d’un point de vue ethnique. L’habitué des salles obscures y verra sans aucun doute des points de convergence avec 3 billboards, les panneaux de la vengeance, qui exprime cette même violence latente qui se nourrit de tous ces ressentiments refoulés. Le réalisateur, Ziad Doueiri, admet d’ailleurs avoir beaucoup apprécié le film de Martin McDonagh. Le film se base principalement sur ces réactions d’orgueil qui coupent tout dialogue, font émerger la violence, et fragilisent davantage une société déjà meurtrie par des années de conflit. Le tribunal, lieu public, régi par l’Etat, impartial, est donc le lieu idéal pour mener au dénouement, le procès opposant les deux hommes alimente la symbolique d’une confrontation qui nécessite une médiation pour permettre aux deux parties de s’exprimer. Une médiation salutaire, mais entachée par une appropriation de l’événement par les médias, rappelant Le Gouffre aux Chimères de Billy Wilder, déchaînant les passions et impliquant toute la population dans ce débat à l’allure très grotesque quand on sait à quoi tient sa résolution.
Le film s’articule comme un long plaidoyer où chaque point de vue est examiné pour comprendre les motivations et le contexte qui ont mené à cette situation. Il s’avère que la clé réside dans le passé, celui d’où émanent ces tensions, celui qui a provoqué ces blessures encore douloureuses, que chacun s’accuse mutuellement d’avoir ouvertes, quand, finalement, chacun est logé à la même enseigne. L’idée est donc de partir de cette opposition virulente et très caricaturale pour, peu à peu, mener à des points de convergence montrant, qu’en définitive, il ne s’agit pas de comparer sa souffrance à celle de l’autre, mais d’être capable de compatir face à la souffrance de l’autre. Et Ziad Doueiri montre toute la complexité à parvenir à établir un dialogue sain qui nécessite notamment de la sincérité, à travers le prisme de la multiculturalité libanaise, un pays aux frontières définies, mais abritant diverses populations peinant à cohabiter.
Mais, plutôt que d’en faire une faiblesse, le réalisateur montre que nos racines, celles qui forgent notre identité, doivent être préservées, que nous aurons, dans notre vie, toujours besoin de les retrouver et de nous y attacher. Même si nous cohabitons avec des individus issus d’autres cultures, on ne peut faire fi de nos racines, tous les peuples ont une identité, une histoire, des souffrances et une fierté, et c’est dans ces points communs qu’ils doivent se réunir pour mieux se comprendre et mieux coexister, plutôt que de tomber dans le piège de la comparaison et de s’enfermer dans des idéologies extrémistes.
Il est évident que le film se base sur le conflit israélo-palestinien, durant depuis de nombreuses années, et déchaînant les passions, y compris à des milliers de kilomètres de cette zone géographique. Malgré cette prise de risque en s’aventurant sur ce terrain épineux, Ziad Doueiri évite les principaux pièges du pathos et fait preuve d’adresse pour exprimer un point de vue résolument humaniste et optimiste visant à éveiller les consciences et à faire comprendre que, même si c’est compliqué, il n’est pas impossible de tirer des leçons des erreurs du passé pour bâtir un futur basé sur la concorde.
Avec L’Insulte, Ziad Doueiri réalise un film plein de sagesse et de vérité, blâmant le repli identitaire tout en faisant comprendre que nous avons tous nos racines et que cela n’empêche pas des peuples aux cultures multiples de coexister sous une même bannière. C’est un film à la fois réfléchi et nerveux, basé sur une réalisation dynamique, où la caméra est presque toujours en mouvement, voguant avec une belle fluidité dans la mise en scène et dans les plans. On peut lui reprocher, histoire d’être un brin pointilleux, une fin trop évocatrice et insistante sur son message, empêchant le spectateur de bien réfléchir par lui-même et de bien ressentir et s’approprier le message du film. Toutefois, cela n’entache pas assez L’Insulte, un de ces films qui sait ce qu’il raconte, qui parvient à établir une vraie communication avec le spectateur, et qui fait du bien à voir. Sans aucun doute, le voici, à date, à la première place de mon Top de l’année.