Je trouve que ça fait longtemps que je n'ai pas commencé une critique par une anecdote, non ?
Ne t'en fait pas, lecteur avide de lire mon point de vue - au demeurant fort positif - sur le film, l'anecdote a un rapport, vague, avec le propos du film. Si cela ne t'intéresse pas, il t'es au demeurant permis de passer ton chemin et d'aller à l'endroit où il y a un lien musical, début de la critique du film.


Si, si. Juré. Croix de bois, croix de fer, si je mens je brûle en enfer.
Dans le même enfer que ceux qui abusent des enfants et ceux qui parlent au cinéma.


Bon, trêve de palabres, mon anecdote prend place au cours de je ne sais quelle soirée ou bien journée. Toujours est-il que je me retrouve à parler avec un couple d'amis, tout deux fanatiques de ces horribles choses potelées et baveuses qu'on appelle communément des enfants.
Tous deux, à l'époque, moniteurs de colo' pour gagner leur pain l'été. Et je leur demande comment la saison se passe, et vas y qu'on discute banalités et tout le tintouin, la pluie, le beau temps, le chat à la grand-mère, tu vois le tableau.
Bref, on en arrive au point où elle me raconte son été, les enfants un peu teigneux, les poux, la douche... et surtout le fait qu'on peut à peine toucher les gamins.


Bien, me direz vous, ça évite une réédition française de Neverland.


Oui, oui mais... ça m'a fait tiquer quand on m'a dit que la parole de l'enfant est loi, que passé 7-8 ans il sait parfaitement ce qu'il peut te faire manger dans les dents, en joue avec brio pour faire un peu ce qu'il veut. Pire, le traitement anti-poux doit être appliqué sous des conditions spéciales, histoire d'éviter les attouchements non désirés entre adultes cons sentis et enfant pas très consentant. Après ils adorent toujours les bambins, les loustics, mais moi personnellement j'aurai un peu peur de finir comme Lucas dans la chasse, à ceci près que je ne ressemble pas trop à Mads Mikkelsen.


Hop, pirouette, je me raccroche d'extrême justesse aux branches. C'est le talent ça, le talent. Et je te propose même un peu de musique pour aller avec la suite.


Donc La Chasse est le premier film de Thomas Vinterberg qui me passe devant les yeux, je ne suis pas vraiment familier du bonhomme mais plus de son acteur principal, acteur que j'ai déjà suivi dans quelques films allant de Casino Royale à Adam's Apple en passant par Les Bouchers Verts. Physique dur, particulier, presque inquiétant, Mads se révèle dans La Chasse d'une tendresse immense en contraste avec ses dehors bourrus.
Je dirais bien un rôle à contre-emploi, mais ça serait croire que le bonhomme a un rôle type, hors si il y a bien un type capable de tout, c'est lui. Un acteur qui pleure avec la même constance huit heures d'affilée pour les besoins d'une scène, ça force le respect.


L'intrigue présente une bourgade enveloppée dans un écrin de nature sublimée, à travers ces scènes de chasse dans une forêt d'or et de cuivre, les cerfs marchant sur un tapis de feuilles tandis que l'eau ruisselle entre les arbres et que le soleil perce les frondaisons. Une image nette, naturelle, pure au sein d'un environnement propice à ces amitiés viriles développées durant la première partie du film. De la bière, des chants et des copains, la vie de Lucas est soutenue par sa communauté, fondation même de son être parfaitement intégré dans son village. Pilier inébranlable, point de départ de sa reconstruction, sa reconquête de son fils, ses retrouvailles avec l'amour à travers le personnage de Nadja - porté à l'écran par l'actrice Alexandra Rapaport - figure de l'étrangère, étrangère par la langue et par l'ignorance des coutumes locale.


Ignorance première des médisances, aussi, qui finiront pourtant par la gagner. Car Lucas, ancien enseignant de primaire reconverti en animateur dans un jardin d'enfants est, au détour d'un jeu, accusé par une enfant de rapports indécents.


De lui avoir "montré son zizi tout raide". Rien que ça.


Mensonge bien innocent d'une jeune fille qui comprend à peine ce qu'est un zizi, entre-aperçu sur une tablette numérique, la faute à un grand frère idiot qui s'imagine que ses actes sont sans conséquences. Mensonge d'un égo blessé par une amourette d'enfant déçu. Mensonge qui prend des proportions folles, se répand comme une trainée de poudre et brise la vie de Lucas.
On le sait innocent, point de mystère là dessus, le suspens du film tient dans la réaction des gens, dans ceux qui le soutiennent et ceux qui le conspuent. Peu de violence, de passages à tabac. Pas de traque au pédophile, mais l'analyse d'un rejet unanime, d'une communauté qui expulse un membre indésirable sur la foi d'une parole enfantine qui ne peux être remise en question. Peut-être ici doit-on voir une petite faiblesse scénaristique, la directrice du jardin d'enfants, Grethe, ne remettant pas en cause la version de la petite Klara (la jeune actrice est impressionnante), connue pour son imagination. Pensée qu'elle érige en dogme, l'enfant ne peut mentir, pas à ce sujet.


Vraiment ?


Si ce n'est ce léger point, le film est exempt de défauts à mes yeux. Sans tomber dans le piège du misérabilisme, Vinterberg présente un sujet qui prête au pathos sans exagérer plus que nécessaire. Il nous montre la folie qui s'empare des hommes, la méfiance qui teinte les amitiés d'autrefois et qui altère à jamais les relations. Il montre la haine sans fard ni grandes explosions, cette haine du quotidien, l'ostracisme d'un individu. Il montre la détresse d'un père et de son fils qui perdent pied, dans une situation où les anciennes solidarités s'effacent. Pas toutes, à l'image de Bruun et son combat pour réhabiliter Lucas.


L'ambiance instaurée par Vinterberg est admirablement prenante, à l'image de la bande-son composée par Nikolaj Egelund et dont le morceau le plus réussi est pour moi celui que vous écoutez si vous avez cliqué sur le lien en début de critique. Mélancolique et doux, évoquant ces immensités forestières où se perd le soleil, magnifique.
Ambiance qui indigne le spectateur dont l'empathie pour Lucas est immédiate, aidé par la performance ahurissante de Mads, qui se brise dans une sourde colère, retenue et si violente. Ambiance qui se fait lourde et riche en tension.
Tu vois, moi j'ai eu ma gorge serrée et les larmes aux yeux.


Et pour boucler la boucle, on s'interroge moins sur la parole de l'enfant que sur l'importance qu'y accorde l'adulte, sur la folie qui peut s'emparer des hommes et détruire les liens qui paraissaient inébranlables. Et on peut s'interroger sur cette folie qui nous retire aussi tout jugement, de ces lois qui prétendent réguler chaque aspect pour éviter le pire et qui donnent lieu au pire parfois.


Parfois, seulement.

Créée

le 23 juil. 2015

Critique lue 882 fois

19 j'aime

6 commentaires

Petitbarbu

Écrit par

Critique lue 882 fois

19
6

D'autres avis sur La Chasse

La Chasse
Electron
8

Tu ne mentiras point...

Pour évoquer ce très bon film, une scène qui se situe à peu près à son premier tiers permettra d’en dire suffisamment sans dévoiler l’essentiel des péripéties. La petite Klara (environ 5 ans), une...

le 12 nov. 2012

241 j'aime

34

La Chasse
Hypérion
8

De la bouche des enfants...

Lucas, s'appliquant dans son travail dans un jardin d'enfants, gère cahin-caha son existence en reconstruction, entouré de ses amis chasseurs de toujours, tout en espérant que bientôt son fils vienne...

le 25 nov. 2012

168 j'aime

14

La Chasse
Marvelll
9

La cruauté de l’Homme

Pourquoi voir La Chasse ? Quatre arguments imparables, pour l’acteur Mads Mikkelsen (devenu une star mondiale depuis sa prestation mémorable de Le Chiffre dans Casino Royale), pour le réalisateur,...

le 30 oct. 2012

97 j'aime

7

Du même critique

Festen
Petitbarbu
8

L'important, c'est la famille.

Fever Ray - I'm not Done Pour son premier métrage dans le cadre du mouvement Dogme95, Vinterberg nous immerge dans un repas de famille bourgeois prenant place dans le manoir familial, isolé dans la...

le 22 août 2015

85 j'aime

9

Le Voyage de Chihiro
Petitbarbu
9

Session Ghibli, septième séance : Le Voyage de Chihiro.

Il y a deux approches possibles pour le vilain cinéphilique que je suis - comprendre vilain dans son sens primaire, le roturier, le paysan, le péquenot - lorsqu'il se frotte à la critique, critique...

le 5 août 2015

77 j'aime

29

Snowpiercer - Le Transperceneige
Petitbarbu
8

Je hais les trains.

Une fois n'est pas coutume – parce que je ne raconte pas souvent ma vie – je vais commencer par vous parler un peu de moi. Et pourquoi ? Et pourquoi pas ? C'est ta critique, d'abord ...

le 17 août 2015

63 j'aime

17