Pour évoquer ce très bon film, une scène qui se situe à peu près à son premier tiers permettra d’en dire suffisamment sans dévoiler l’essentiel des péripéties. La petite Klara (environ 5 ans), une blonde à l’apparence d’ange vient sonner à la porte de Lucas. Celui-ci habite seul dans une maison depuis que sa femme l’a quitté, partant avec leur fils (ado d’environ 16 ans). L’action se situe dans une bourgade danoise, parce que le réalisateur connaît bien son pays, mais cela pourrait se passer plus ou moins n’importe où.


Klara vient simplement demander à Lucas si elle peut promener Fanny, son chien. Lucas est très surpris, car depuis quelques jours il est dans une situation difficile à cause de paroles lancées par Klara devant son institutrice. Lucas travaille à l’école, sans qu’on sache quel est son rôle exact là-bas. Toujours est-il qu’il s’amuse souvent avec les enfants avec lesquels il a noué une réelle complicité. Les paroles de Klara ont éveillé un gros doute dans la conscience de l’institutrice. Elle soupçonne Lucas d’un comportement indécent du type abus sexuel.


Alors, quand Lucas voit Klara en face de lui, il lui fait comprendre aussi calmement que possible qu’il ne peut pas l’autoriser à promener ce chien comme elle en avait probablement l’habitude. Klara est la fille du meilleur ami de Lucas. Ils sont voisins et vont régulièrement chasser ensemble. C’est aussi l’occasion de se réunir entre hommes pour boire et chanter.


Lucas demande à Klara si ses parents savent qu’elle est sortie seule. Non, une fois de plus Klara n’a rien demandé. Elle est capable, malgré les recommandations de sa mère, de sortir et de s’égarer. On sent que cela ne l’inquiète que très relativement. Tout le monde la connaît. Il y aura toujours quelqu’un pour la ramener chez elle.


Quand Lucas explique à Klara qu’elle va devoir renoncer à sa promenade, celle-ci se met à pleurer. Pourtant, elle aurait dû s’attendre à cette situation. En effet, elle comme Lucas (ainsi que le spectateur) savent qu’elle a menti. Eux seuls connaissent la vérité. Dans sa tête de petite fille, Klara réalise alors que son mensonge aura des conséquences pour elle aussi. Comme le dit Thomas Vinterberg, ce film est l’occasion d’aborder pas mal de thèmes comme l’amitié, la confiance, les relations dans une société, la valeur d’un témoignage, le mensonge, la violence aveugle, etc. Mais l’essentiel est ici la perte de l’innocence. En mentant, Klara a commis un acte aux conséquences qui s’enchainent et deviennent de plus en plus terribles. Quelque chose que la jeune Klara ne maîtrise pas. Bien qu’adulte, Lucas est encore plus mal loti.


Car, à force de soupçons et d’interrogatoires (dialogues où chaque mot, chaque intonation a son importance) les convictions s’établissent et Lucas se trouve dans une situation de plus en plus intenable.


Alors, voyant Klara pleurer devant lui, Lucas sent que c’est le moment où jamais pour inverser la tendance. Il sait aussi qu’il ne peut rien se permettre qui renforcerait les soupçons qui pèsent sur lui. Alors, il s’accroupit pour se mettre à sa hauteur (la caméra aussi), lui parler les yeux dans les yeux, en faisant bien attention de ne surtout pas poser sa main sur son épaule. Il lui demande ce qui s’est effectivement passé, sachant pertinemment qu’entre eux deux, le mensonge est impossible. Or, la fillette a déjà dû s’expliquer plusieurs fois. Elle dit qu’elle ne se souvient plus…


J’ai eu la chance de voir ce film en avant-première en présence du réalisateur qui a commenté son film, avec sa fille jeune adolescente ! Un homme à l’apparence équilibrée qui répond chaleureusement et parle de son enfance sans hésitation, ainsi que du souvenir qu’il a de l’éducation sexuelle de l’époque (une scène qu’il évoque non sans humour, en ajoutant dans un éclat de rire que cela vaudrait aujourd’hui un internement à vie à son auteur…) Thomas Vinterberg a du répondant, puisqu’il dit qu’au départ il voyait bien Robert de Niro dans le rôle de Lucas, car Mads Mikkelsen ne travaille qu’avec un scénario fini en main. Mais c’est bien avec Mads qu’il voulait travailler. Et il a bien fait, car celui-ci est impressionnant, aussi bien dans la finesse de son jeu que par sa présence physique.


Le film ne cherche pas à faire dans le tape à l’œil. La société de cette bourgade est présentée assez simplement. Les intérieurs sont plutôt bourgeois. Les lieux importants de la vie sociale sont le petit supermarché et l’église. Des scènes clés y sont montrées. Les dialogues sont ciselés et les situations s’enchainent très naturellement. Bien-sûr, on sent assez rapidement que cela sent le roussi pour Lucas. Mais ce qu’on ne sait pas au départ, c’est jusqu’où il peut aller pour faire valoir ses droits et sa capacité à réagir ou non à certaines situations et de quelle façon. Oui, le vernis craque et la gentille société bien tranquille montre qu’elle n’est pas à l’abri de vraies dérives. La fin est d’une force étonnante. Une fin ouverte dont le réalisateur considère (en accord avec sa fille) que c’est la seule qui fonctionne vraiment, alors qu’il avait envisagé plusieurs autres solutions.


Sous une apparence technique plutôt classique, le réalisateur de Festen (15 ans déjà) réussit à embarquer complètement le spectateur. Celui-ci ne peut qu’être amené à se poser d’innombrables questions. Oui, les plus jeunes doivent être protégés. Mais imaginer l’innocence absolue est une erreur qui peut avoir de graves conséquences. En définitive, on peut résumer cela avec une question assez vertigineuse : en qui pouvons-nous avoir réellement confiance ?

Electron
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