Vidor signe l'une des plus belles mises en scène qu'il soit: géniale, inventive, moderne, pertinente, elle est le pendant cinématographique d'une esthétique urbaine développée chez des écrivains contemporains tels que Dos Passos dans Manhattan Transfer décrivant un New-York contemporain. En vrac: un parfait travelling arrière dans les escaliers de la maison familiale sur le gamin venant de perdre son père, le gamin sortant comme d'un couloir utérin au bout duquel il naîtra (le plan suivant est son arrivée à N.Y.) ; la photographie minimaliste de la foire avec des lumières éparses scintillantes dans la nuit; le “toboggan travelling” accompagnant les hauts et les bas des amis s'amusant à cette même foire; et bien sûr les magnifiques prises de vues géométriques sur la ville (les gratte-ciel en contre-plongée), la foule dans la rue, le bureau (le travelling avant avec mouvement de grue pour finir sur un gros plan sur la plaque de John Sims); …


L'opposition entre le romantisme du jeune John Sims et le réalisme d'une vie sans pitié traverse tout le film, dès la naissance où son père lui prédit un destin hors du commun à la scène finale dans le cinéma où John Sims se retrouve dissous au milieu de la foule grâce au travelling arrière. Le spectateur comprendra vite que le personnage plein d'illusions de grandeur débarquant dans la ville anonyme ne formera en fait qu'une pièce de bétail de plus. À ses rêves de jeunesse succédera une vie «normale», banale, parfois dure et cruelle, ressemblant à toutes les autres quoique unique, vue et racontée par Vidor avec un grand humanisme et beaucoup d'empathie.


Le leitmotiv de la foule, obsédante, inarrêtable, sanguine parcourt aussi le film. Elle rappelle le fameux poème en prose de Baudelaire, «La foule». L'un des personnages du film en dira: «elle rit toujours à tes côtés mais ne pleurera avec toi qu'un jour». Elle apparaît donc à la fois comme animale, grotesque, curieuse, voyeur morbide, avide des drames d'autrui, sans cœur, mais aussi anonyme, impersonnelle, «dépersonnalisante» (et là nous renvoyons à l'esthétique baudelairienne), c'est-à-dire mangeuse d'individualités. John Sims ne fera que s'y dissoudre, comme n'importe autre citoyen lambda.


Le récit devient cathartique pour le spectateur, comme le suggère la scène finale au cinéma où tout le monde rit et oublie ses peines après avoir souffert en même temps que le héros. A noter que la fin heureuse a été choisie parmi une dizaine d'autres fins possibles, dont certaines tragiques.


Un grand moment de cinéma, que nous avons eu la chance de voir accompagné en direct par un musicien reprenant Bach et un DJ. Une autre couche de modernité sur la modernité du film.

Marlon_B
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le 21 juil. 2018

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