La violence chez Carpenter, du moins au début de sa carrière, est privée de toute explication raisonnable; il développait déjà cette thèse dans Assaut, sorti deux auparavant, film en huis clos dans lequel un petit commissariat sans grands moyens de défense se faisait assiéger par une bande d'hommes armés prêts à en découdre, pour aucune autre raison que l'expression débridée d'une violence dirigée envers la société et ses institutions.


Il la perpétue avec La Nuit des masques, en imageant cette fois l'ultraviolence par une folie meurtrière impossible à canaliser : Michael Myers et le crime mêlé à l'amour incestueux, filmé à la première personne pour qu'on puisse s'identifier non pas au monstre, mais à l'incarnation du mal (visuellement, la mise en abîme est renversante et novatrice), qui se cache des yeux du monde par le biais des masques d'Halloween. Le génie de Big John est déjà identifiable : un évènement traditionnel et festif devient l'obsession d'un psychopathe, qui se sert du plaisir ressenti à le commémorer comme expression de ses obsessions meurtrières.


La thématique du masque, qui banalise la présence du tueur en l'inscrivant dans un contexte évènementiel particulier, représente à elle seule l'aura démentielle entourant le personnage du boogeyman. Dépossédé de toute humanité par la folie qui le ronge (Michael est impossible à tuer, que ce soit au recours de coups de couteau ou de balles de revolver), il est identifié comme la chose d'un autre monde, le monde de l'hôpital psychiatrique, par la retransmission, à l'occasion d'Halloween, du The Thing de 1951 (qu'il réactualisera, quatre ans plus tard, avec son remake mythique).


La construction de cette séquence est extrêmement intéressante : les crimes qui se déroulent dans la maison d'en face se perdent dans les bruitages du téléviseur par le biais d'une suggestion de maître, empêchant tout voyeurisme et donnant l'inspiration nécessaire à Wes Craven pour son Scream (qui bouclera la boucle en reprenant la scène de fin de La Nuit des masques pour développer sa mise en abîme vertigineuse des codes vieillissants du Slasher).


Elle résume la thèse à elle-seule : Michael Myers, mutique et très charismatique, massacre les jeunes incarnant l'avenir de la société, sans autre justification que celle de l'absence d'émotion et de raison : véritable machine à tuer qu'on ne peut arrêter, il essaie d'annihiler la vie des amoureux et des êtres purs comme il massacra, des années auparavant, sa soeur, incarnation des pulsions et des projets de l'adolescence.


Cette agression sans raison rend le spectacle d'autant plus efficace qu'il ne raconte rien d'autre que l'apogée d'une violence dirigée, une nouvelle fois, à l'encontre de la société et ses icônes : il s'agit ici de tuer ceux qui construiront les moeurs de la société de demain, en se dissimulant derrière des coutumes qu'il s'approprie par la destitution des figures adolescentes populaires. La baby-sitter et son rôle sain (symboles communautaires de l'Amérique), désacralisés par le réalisateur qui ajoute au moment du baby-sitting des écarts de comportement conduisant à des rapports sexuels inévitables, puis à la punition divine de la mort de ceux qui s'y livrent, perd la vie du fait du modernisme de son comportement, ou survie parce qu'elle suit les traditions de son pays.


Il y a là les prémices de l'affrontement entre le traditionnel et le moderne qu'il évoquera avec plus de profondeur dans The Thing, couplé à l'agression sans raison d'Assaut et à l'intrusion dans une communauté paisible d'un mal ancestral, à la façon du fantastique L'Antre de la folie. On y dénicherai même, dans son dernier acte sanglant, les éléments fondateurs de son obsession du huis clos, retrouvé dans la plupart des titres de sa carrière, du Prince des Ténèbres à la ville-prison de New York 1997.


C'est dans ce registre qu'il excelle le plus, la première demi-heure du film, durant laquelle il tente d'étaler la tension dans le cadre de la ville, témoignant d'un manque de maîtrise qu'il comblera largement dans ses futures oeuvres. Ainsi, toute sa dernière partie, qui joue habilement entre la tension du meurtre et l'épouvante du spectacle télévisé, trace la route aux futures mises en abîme permises par l'utilisation de films dans le film, en intradiégétique, histoire d'approfondir un cinéma de genre qui, une fois passé les 20 années de Slashers répétitives et obscures, n'avait plus pour seule option que de citer, en baroud d'honneur, Halloween dans Scream pour rendre un dernier hommage à ce genre cinématographique éteint depuis bien longtemps.

FloBerne

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