Love and Hate, ou comment personnifier l'un des tueurs les plus charismatiques du cinéma. Robert Mitchum excelle dans un rôle aux antipodes de ses prestations habituelles. Charismatique et effrayant, attachant et révulsant, il incarne à la perfection les antagonismes comme en témoignent ses tatouages de phalanges, LOVE à droite, HATE à gauche. Toutefois, plutôt que de m'évertuer à encenser cette oeuvre qui le vaut bien, je vais me contenter de mentionner tous les points du film qui m'ont interpellé, de nombreuses critiques bourrées de qualités s'étant déjà parfaitement exprimées sur The Night of the Hunter.
- Le jeune garçon et sa petite sœur. Ils possèdent tous deux une volonté et un courage incroyables. Le pire, c'est qu'ils n'en ont pas conscience. Leur situation ne leur laisse que peu d'alternatives, et ils acceptent calmement leur sort, leur attitude honorifique dans certaines situations coulant de source dans leur esprit.
Lorsque l'on n'a pas le choix, la voie de la survie devient une évidence, non ? Le charme et la persévérance de ces enfants transplantent une graine d'espoir dans notre cœur, mais également de tristesse lorsque l'on prend conscience qu'ils réagissent mieux que nous à leur situation. Sans se plaindre, ils acceptent leur sort, s'adaptent, et agissent en faisant ce qu'ils croient judicieux pour survivre.
Combien d'adultes peuvent-ils se vanter d'une telle force de caractère ? Ces enfants font brillamment ressortir des aspects de l'Homme adulte que celui-ci rechigne à accepter.
- "Preacher" Harry Powell. Le Mal à l'état pur, celui qui se faufile parmi nous et que l'on adule. Celui qui est savant, gentleman, sociable, intelligent, charismatique et charmeur. Le dernier que l'on soupçonnerait de quoi que ce soit. Le premier à tuer s'il le juge nécessaire à la préservation de l'humanité. Mais il se sent investi, à sa façon, d'un pouvoir de vengeance divine, ce qui le rend d'autant plus dangereux. Rien n'est pire qui l'Homme déterminé qui agit sur des convictions ancrées dans son âme.
Extrait d'un monologue de Powell adressé au Tout-Puissant :
"Seigneur, je suis épuisé. Je ne suis pas sûr que Tu comprennes vraiment. Ce n'est pas que tu t'émeuves des meurtres. Ton Livre est rempli de meurtres. Mais il existe des choses que Tu détestes, Seigneur. [Avec dédain] Ces choses qui sentent le parfum, ces choses en dentelle, ces choses aux cheveux bouclés... [...] Il [ces choses] y en a beaucoup trop. Je ne peux pas tuer un monde..."
- LOVE and HATE.
LOVE, la main droite, est celle qui protège, compatit, aime et concilie. Elle conditionne la haine, mais lui reste indissociable. Sans haine, l'amour n'a point de valeur. Sans danger, la sécurité n'existe plus, elle devient normative.
HATE, la main gauche, est un système personnifié de l'épuration humaine. La sentence, la colère, la vengeance, le bourreau. Elle exécute la colère divine. Amour et Haine se doivent de se compenser l'une l'autre, et lorsqu'elles sont de forces égales, il en découle la justice. Le problème réside en une mauvaise appréciation de base, et lorsque notamment l'amour est malignement défini, il en résulte une "justice" immorale et impitoyablement dangereuse, car celui qui personnifie cette justice serait ce qu'on appelle communément un... psychopathe.
- Une ambiance sombre et fascinante. Le jeu de couleurs noires et blanches est tout simplement extraordinaire. The Night of the Hunter est pour le moment le film qui m'a le plus soufflé quant à la qualité bicolore de son image. Voilà bien un film qui vous passe l'envie de voir des couleurs, vraies celles-ci, après coup. Certains plans de nuit, notamment l'un avec la lune se reflétant sur la rivière dans le calme nocturne et angoissant couvrant le Chasseur, sont tout bonnement exceptionnels. Navré pour le superlatif, mais je ne vois absolument pas comment qualifier autrement la beauté visuelle de The Night of the Hunter. Charles Laughton, que je ne connaissais pas, a accompli un travail remarquable.
- Des musiques et chansonnettes parfaitement imprégnées dans l'histoire qui nous est contée. La chanson "Leaning on the everlasting arms", entonnée par "Preacher Harry Powell" lorsque le démon fait communion intégrale avec sa personne. Lorsqu'il chasse, et qu'il sent sa(ses) proie(s) à proximité. Egalement, les bruitages naturels sont d'une justesse précieuse, et la nuit prend alors une dimension imprévisible.
- Les chasseurs. L'un des "héros" étant un chasseur impitoyable, qui semble renifler ses proies tout en paraissant inoffensif, est tel un prédateur nocturne. En silence, l'air de rien, il observe, repère les environs. Il cherche la brèche, l'ouverture, l'opportunité de pouvoir fondre sur sa victime sans que celle-ci n'ait le temps de réagir. Sans doute est-ce pourquoi, subrepticement, se glissent à l'écran quelques-uns des chasseurs nocturnes les plus efficaces du monde animal. L'on aperçoit notamment un renard, mais également deux redoutables prédateurs ailés nocturnes : le hibou et la chouette. Cette chouette blanche, justement, filmée en chasse, a constitué un instant-éclair fascinant. La grosse bête tue –presque- toujours la petite.
"It's a hard world for little things..."
- Références à M le maudit. Ce film et The Night of the Hunter, bien que très différents, semblent partager une souche commune, et l'on pourrait déceler quelques clins d'œil au chef d'œuvre de Fritz Lang (1931). Sans tous les dévoiler pour ne pas spoiler, mentionnons tout de même la chansonnette "Leaning..." évoquée plus haut, que chante Powell lorsque son instinct de chasseur le domine. Une si belle chanson pour détendre et "endormir" ses victimes, comme ce fut le cas avec M, excepté qu'il s'agissait alors d'un sifflement enchanteur. La psychologie des deux tueurs et leur charisme sont également assimilables, ainsi que... Et bien, si ce n'est pas déjà fait, regardez-le(s), tout simplement.
- Réflexions sous-jacentes. The Night of the Hunter nous expose, sans nous étouffer et nous laissant d'opinion libre, quelques réflexions sur le monde de l'humanité. Notamment, quelle place occupe le Mal dans notre société ? Quelles influences ont les religions et les convictions dans le cœur des hommes ? A l'âge adulte, quelles forces et valeurs de l'enfance peut-on perdre inconsciemment ?
Oui, car l'enfant s'adapte à sa situation. Il veut vivre. Même s'il connait le désespoir, une part de lui-même voudra toujours faire ce qu'il faut pour survivre. Bien plus qu'un adulte.
Le plus ironique dans cette histoire étant que seul l'enfant est capable de voir le Mal tel qu'il est, les adultes caressant le Mal dans le sens du poil, pensant avec arrogance à la sainteté de l'Homme en question, et à la malignité hypothétique de l'enfant. Pathétique mais tellement vrai, puisqu'il est fréquent que l'on soit tenté de dénigrer la parole de celui que l'on croit naïvement inférieur.