Chef-d’œuvre ultime, La Planète des singes de Franklin J. Schaffner a marqué son époque au fer rouge, et gravé son nom dans l'histoire du cinéma. Mythique parabole sur une humanité qui se dirige consciemment vers le désastre, elle se caractérise surtout comme le miroir d'une société pétrie d'idéaux anti-communistes et pro-libéralistes, de cette société dont la plus grande peur était l'enfer nucléaire.


Car si les japonais l'ont vécu au sortir de la guerre, c'est que l'occident n'en est pas passé loin. Cela, Schaffner l'a compris : le pacifisme est la clé de la survie de l'homme, son seul moyen de vivre encore pour les siècles et les siècles à venir. C'est une vraie prophétie qu'il nous livre là, une sorte de récit messianique aux retombées politiques et sociales graves. Le genre de récits qui, plusieurs siècles après, devient un livre saint.


Philosophie teintée de religion, idéologie pacifiste aux forts accents de lutte sociale, La Planète des singes trouve son écho dans notre société libérale actuelle, entre trois conflits d'intérêts et deux conflits de classe. Ici, chimpanzés et gorilles se battent pour la liberté des anciens esclaves singes face à l'homme détruit; l'un est l'intellectuel, le philosophe, l'autre a pour place celle du combattant, celle du tueur. Au centre de cela, les orangs-outans, hommes politiques au ventre gras et à la voix de dupe. Ils trompent, mentent et manipulent, quand les autres réfléchissent ou massacrent.


C'est un terrible constat qu'il y a là : vieux de presque 50 ans, La Planète des singes avait tout vu venir. Le film avait vu juste sur toute la ligne, en plus d'apporter l'idée d'un besoin universel de croire en un être supérieur, de se livrer à des rites religieux. Quelle que soit notre origine, quel que soit notre sexe ou notre espèce, s'il y a âme et intelligence, l'individu aura toujours le besoin de croire en un être supérieur, de vouloir échapper à la sentence inéluctable et universelle : sa propre mort.


Hommes et singes sont donc identiques, à ce détail prêt que les hommes sont devenus les singes, et les singes les hommes. C'est l'inversement des rôles, la rotation contraire des certitudes : c'est toute notre vision du monde qui s'en trouve bouleversée, notre conception même de l'être humain qui en est chamboulée. Une réflexion profonde et salvatrice pour un film de genre mythique.


Bien sûr, La Planète des singes n'aurait pas eu le même effet s'il n'était pas porté par le charme de Zira, incarnée par la pétillante Kim Hunter, et le charisme sublime d'un Charlton Heston à l'allure divine. Façonné comme un dieu grec, se portant comme un champion olympique, il tient le film sur ses épaules jusqu'au traumatisme final, sorte de passage mythique dont nul ne s'est jamais remis.


Dans la Planète des singes, l'homme conscient à des airs de Dieu, quand l'orang-outan malin possèdera l'aura du diable. Ils sont détestables autant que géniaux, sorte d'incarnation de ces humains rusés et manipulant les croyances des hommes ( ici les singes ) au profit de leur propre intérêt. Ils manipulent pour contrôler, ils jouent sur les croyances pour mieux duper.


Il y a aussi cette dimension mystique propre à l'être intelligent, cette sorte de réflexion sur le pouvoir qu'octroie la religion aux plus hautes instances qui lui sont intimement liées. Et si l'on fait la synthèse de tout cela, le constat s'impose de lui-même : La Planète des singes est un film mythique, une oeuvre fondatrice du cinéma d'aujourd'hui. On l'aura souvent copié, on l'aura souvent plagié, ses suites l'auront malmené, pompé jusqu'à la moelle, rongé jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de son univers particulier, mais son aura n'aura jamais changé : c'est un grand film, un chef-d'oeuvre intemporel, le genre d'oeuvre qui marque une vie.


Bien plus qu'un film, La Planète des singes est l'histoire d'une lutte des classes.

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le 13 févr. 2017

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FloBerne

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