The Chase commence comme bon nombre de films, sans nous préparer à son véritable sujet. Film d’évasion, il suit dans un premier temps le périple de Bubber Reeves, incarné par un Robert Redford qu’on attend comme la star de l’intrigue, accusé à tort d’un tort d’un meurtre commis par un comparse.
Le montage parallèle se met alors en place avec sa ville natale qu’il va probablement tenter de rejoindre. C’est l’occasion pour Penn, deux ans avant le coup d’éclat de Bonnie & Clyde, d’un premier panorama sur la société supposée représenter l’ordre en contrepoint au criminel. La ville se résume à un homme, Val Rogers, dont le nom est sur toutes les lèvres et toutes les enseignes, et qui possède par sa fortune toutes les institutions. Le shérif, son employé contraint dont le seul désir est de pouvoir racheter sa terre spoliée, est campé par Marlon Brando, qui parvient à restituer avec force cet héroïsme castré, entre une épouse compréhensive et une justice impossible à rendre dans un monde corrompu jusqu’à la moelle. Accusé d’impartialité par les uns, mis sous pression par les autres, il n’a d’autre choix que de passer du représentant de l’ordre au justicier.
Car la ville est une jungle sauvage : les forêts ou les décharges dans lesquelles se terre le fugitif semblent des havres de paix en regard des tableaux que Penn dresse de la société texane. L’arrivée imminente de Bubber Reeves a tout du révélateur, et chacun semble avoir à se reprocher quelque chose par rapport à ce retour : des parents démissionnaires, harcelés par les vénéneuses bigotes du quartier ; son épouse, désormais maîtresse du fils du magnat local ; et, surtout, la foule, ravie de voir surgir une ébauche de frisson pour ce samedi soir qui s’annonce différent des précédents.
Penn filme la décadence avec une vigueur rare : deux ans avant The Party de Blake Edwards, la fête chaotique a trouvé son pendant cynique. Beuverie veule durant laquelle on révèle les infidélités, les relents racistes et le capitalisme triomphant, la société chorégraphie avec une lucidité ironique sa chute sans fin. Le travail sur le groupe, le passage d'un individu à l'autre occasionne une mise en scène très maîtrisée, qui ferait presque penser à celle de Tati dans Playtime, à la différence près qu'elle est ici au service d'un propos ravageur.
Sur ce terreau délétère, la mise en place de la phase suivante est désormais attendue : celle du lynchage. La foule grandit, et fédère désormais la ville entière qui vient assister à la tragédie intime, voire la souiller. Le refus du shérif à se laisser corrompre par la mère du fugitif est aussitôt rendu public comme un signe de partialité devant une foule filmée avec effroi, avide de spectacle, chewing gum et soda aux lèvres. De la même manière, le triangle amoureux se voit interrompu par la vindicte populaire et un incendie cathartique qui rappelle le formidable Fury de Lang, ou la vision du Sud de Mississippi Burning.
La justice n’existe plus, seule la haine s’exprime, annonçant le pessimisme noir de Peckinpah dans Les Chiens de Paille. Et si le shérif mène à bien sa mission, c’est pour involontairement perdre celui dont il garantissait la sécurité sous l’égide d’un Etat totalement démissionnaire.
Penn n’était pas tendre avec son film, dont le montage final ne le satisfaisait pas. S’il accuse certains petit excès démonstratifs, c’est pourtant un formidable brûlot, très théâtral, sur la victoire de la médiocrité par le plus grand nombre, et celle du renoncement face à l’intégrité morale, et une représentation éclatante du changement de ton qui commence à se manifester à Hollywood au tournant des années 60.
(8.5/10)
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