Dans mes souvenirs, le film était bien plus beau, bien plus fort et musclé. Je me demande si son exécution, son rythme n’altère pas le plaisir à la revoyure. Autant j’ai pu être surpris à la découverte, ne m’attendant à rien de particulier. J’avais été charmé par la grande part de mystère qui entoure le scénario et surtout certains personnages, notamment la mélancolie de celui qu’incarne Mireille Darc. Elle le fait avec une grande douceur, comme d’habitude.
D’une certaine manière, aujourd’hui je ressens bien tout cela encore, sauf que c’est moins percutant, que je trouve certaines scènes trop longues, qu’elles cassent trop le rythme. D’ailleurs, on n’est jamais vraiment dans la comédie trépidante. Le générique tout en mouvement et action est un trompe l’oeil : à partir du moment où le commandant Bloch (Jean-Pierre Marielle) pénètre dans l’ambassade de France à Tripoli, les scènes prennent un un peu plus de longueur, l’action s’étire.
Pour en comprendre les raisons, il faut souligner l'extrême importance des dialogues, surtout ceux entre Bloch et le capitaine Augier (Michel Constantin). La plus grande partie du film, qui se situe dans un hôtel est aussi la plus bavarde, la plus statique et peut, par conséquent, paraître un peu plus alanguie, pas assoupie mais un peu dilettante et paresseuse. Je crois qu’au fond, tout cela n’est qu’une vue de l’esprit. Parce qu’en fait, elle mise sur une lente mais solide érosion mentale des deux héros principaux. Les deux hommes se laissent enivrer, puis dévorer par l’amour qu’ils éprouvent pour Françoise (Mireille Darc). Cela ne peut se traduire sur la vitesse, mais uniquement sur une lente progression des sentiments.
Et pourtant, l’histoire commande que cette évolution soit un tantinet rapide. Les dialogues pourvoient à la nécessité vitale de dynamisme. On sent déjà la subtile efficacité du dialogue made in Francis Veber. Il construit une confrontation entre Jean-Pierre Marielle et Michel Constantin avec une très sûre montée en puissance.
Je remarque également l’incongruité de l’habillage musical. Il est cette fois ordonnancé par Philippe Sarde qui utilise ici une musique très mélancolique, avec une rengaine pourtant pénétrante. Mais dieu, qu’elle est si peu comique cette musique! Elle semble s’échiner à étouffer tant que faire se peut le sel humoristique des dialogues et des situations. Elle est émouvante, triste et très belle cette musique, mais tellement à rebours du film qu’on se demande ce qu’elle fout là?
La distribution me laisse aussi un peu songeur. D’un côté, on a une valeur sûre, un très grand Jean-Pierre Marielle, qui connaît là un de ses meilleurs rôles (avec sans doute celui des Galettes de Pont Aven) dans le cinéma comique. Sa grande voix chaude, caverneuse, ses élans de passion, lyriques, débordants sont à tomber et servent tellement bien un personnage de plus en plus paumé dans cet amour irrémédiablement déraisonnable pour Mireille Darc.
Mais face à lui, un mystère : Michel Constantin. Comment se fait-il que cet acteur ait pu avoir une telle carrière? Je l’ai vu dans tellement de films qu’il est devenu même pour moi une figure forcément familière, que j’aime à retrouver de temps en temps. Dans Ne nous fâchons pas, comme dans cette valise, il est surtout mis en valeur par ses camarades de jeu. Avouez qu’il joue comme un cochon! Et pourtant, on s’y habitue, on l’aime bien au fond. Ici, quand il est déshabillé de force par Mireille Darc, son air con fait mouche, il en est même émouvant. Extraordinaire, non? Tout de même! Il apporte quelque chose que nul autre ne peut amener à son personnage, un petit truc enfantin qui en soit fait sourire. Je ne m’explique pas comment un acteur aussi mauvais a pu jouer dans autant de films. C’est pas juste un bon copain de Belmondo, Verneuil, Lautner ou Ventura, il y a forcément aut’ chose, “comme un goût de pomme”. Je me demande ce qu’est son “goût de pomme” à lui.
Et puis, Mireille Darc, dans le rôle perpétuel qu’on lui a donné et qui au fond est celui d’une brave fille, qui aime à jouer avec les hommes, dans tous les sens du terme, sans que ce soit vulgaire ni inapproprié, une femme libérée et élégante, la grande classe. Elle a ici un joli rôle qui résume bien un peu de tous les personnages qu’elle a pu jouer jusque là, et qu’elle maîtrise parfaitement.
Viennent se greffer sur ce trio des petits rôles amusants, un peu brefs mais qui peuvennt plus ou moins marquer : de Robert Dalban à Michel Galabru, en passant par Amidou ou Jean Lefebvre, chacun apporte sa petite touche personnelle, mais sans pour autant amener une plus-value gigantesque au film. On les aura connu bien vaillants sur d’autres films. Non, ceux qui tiennent la valise à bout de bras, ce sont bien les trois personnages principaux.
Pour eux, pour les dialogues parfois succulents de Francis Veber, le film vaut le coup d’oeil, c’est indéniable, au moins une fois. La réalisation de Georges Lautner manque de percussion, malheureusement pour faire de cette comédie une très grande. Reste qu’elle en est une de bonne facture, dirons-nous. Et c’est déjà pas mal.
Captures et trombi