Avant d’obtenir la Palme d’Or cannoise de 2013, La vie d’Adèle a énormément fait parler de lui à cause de polémiques sur ses conditions de tournage réservées aux techniciens, puis entre le réalisateur Kechiche et Léa Seydoux, personnage le plus important du film après celui d’Adèle dont elle est l’amante. Pendant et depuis cette Palme, ses seize minutes de sexe explicite en plans fixes et moyens ont fait débat, tout comme le lesbianisme au cœur du film, perçu comme une audace rafraîchissante - ou ce genre de considérations inadéquates pour une romance à peu près aussi plate et insipide qu’une soirée Plus belle la vie.


Si La vie d’Adèle est sans relief, piteusement écrit et dirigé sans vision, il est toutefois une excellente surprise de la part de Kechiche, rapporté à la valeur de La graine et le mulet. Dans cette abomination, une rachitique patte molle sous sédatifs tâchait d’ouvrir un restaurant de couscous. La graine et Adèle ont de nombreux vices en commun, mais le second jouit d’une approche un peu plus rigoureuse et réfléchie, donnant une première partie décente, pour ses efforts sur le terrain psychologique. Très vite c’est le plongeon dans le rien, le reportage paumé et sans intuition, incapable de saisir la valeur sociale et culturelle de toutes les données qu’il s’accapare. Kechiche n’a aucune aspiration à raconter une histoire ayant sa propre identité, il se contente d’étaler la matière d’un feuilleton neurasthénique pour public policé, énumérant bien les gimmicks bobo-bankable tout en restant à la hauteur du soap jetable (qui s’oppose aux soap de qualité, mais aussi à ceux plus intenses ou durant dans le temps, comme Les Vacances de l’amour).


Reflétant ce film-fleuve (3h) impuissant, les personnages font parler des philosophes et des grands auteurs en atteignant un stade de branlette stérile aigu pour combler sa propre absence d’esprit. L’adolescence et le lycée en toile de fond, au début, sonnent témoignages, ce qui peut rendre l’affaire stimulante malgré la médiocrité de ce qui est représenté et l’inanité du trait. Les bavardages d’ados sont faibles mais il y a alors cette façon, pachydermique mais pas totalement aberrante, de 'faire sens' en relayant des visions très pauvres. Kechiche et sa bande tachent aussi de bien montrer combien les préjugés ont la vie dure, y compris chez Alice : par exemple, son point de vue sur les artistes produisant du hard rock/metal, ou les a-priori de ce mec sur la littérature classique. Et sur la sexualité c’est pareil : les filles vont avec les garçons, alors même si ça marche pas avec elle, Adèle (Adèle Exarchopoulos) insiste. C’est tellement facile à dégommer que la retenue s’impose, il vaut mieux profiter de la douceur des intentions et des prestations convaincantes.


Malheureusement le film devient toujours plus vain au fur et à mesure. L'héroïne est perpétuellement affadie, après tout c’est ce qu’on sait faire de mieux dans la Kechiche’s team. Elle n’est pas débile, juste un peu nulle, contrairement à sa copine Emma/Léa Seydoux, l’artiste. Kechiche nous présente ainsi une jeune fille pauvre devenant instit, face à une moins jeune fille riche ayant l’opportunité d’affirmer sa sexualité, de s’épanouir et même de se divertir avec ses amies lesbiennes ou en allant flâner en gribouillant de jolies choses issues de son cerveau en ébullition sous le casque bleu. Oui, quand vous lisez Sartre et qu’on paye vos tableaux parce que vous êtes à proximité des happy few, même avoir les cheveux bleus ne saurait faire douter de votre ‘goût’ artistique. Car Emma est riche et donc elle est inspirée (c’est pas dans les gênes ni dans ton âme, c’est dans le compte en banque de tes tuteurs), alors que Adèle la fille de gueuse restera un peu cette paumée intégrale bonne à assumer sa petite fonction ordinaire d’instit et à rester là exsangue. Cela plait à Kechiche et surtout ça l’émeut, c’est d’ailleurs tout ce qui l’interpelle, cette Adèle bouche ouverte et morve au nez, mais opérationnelle quand même ; mais ça on s’en fout, l’essentiel c’est que cette sincérité là est bouleversante. Ah, comme les humbles gens sont braves même s’ils sont incapables d’avoir un destin. Comme c’est touchant, cette manière d’être désaxé et creux mais terrestre et sentimental aussi.


Normalement il faudrait donner l'alarme face à de tels objets ; mais à quoi bon, quand c’est si énorme et bête. Au final, Le bleu est une couleur chaude (son titre international et celui de la BD dont il est adapté) n’est qu’une petite histoire d’amour banale et faible, échouant finalement ; et pour en arriver là, boite pendant trois plombs, taillant dans les 750 heures de rushes pour en garder trois ; lesquelles ne contiennent rien de bien solide. Sauf bien sûr, objectivement, l’interminable scène de cul, destinée à bien marquer les esprits des petites gens : le sexe entre deux femmes, approche pratique, zoomée et détaillée, mais sans les pénétrations et s’arrêter sur l’appareil parce que là ce serait vulgaire. Néanmoins les acteurs et surtout actrices ont une énergie et du talent, une vérité, même quand eux ou leurs personnages sont désagréables ; dans La graine et le mulet, tout le monde était moche et grossier, avec des incarnations à niveau (la défaillance ne relevant pas de leur responsabilité).


https://zogarok.wordpress.com/2015/05/01/la-vie-dadele/

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le 5 mai 2015

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