Alors, je précise d’emblée que pour pouvoir apprécier la vie d’Adèle, il faut pouvoir mettre de côté deux ou trois détails qui pourraient agacer: le fait que sur près de 30 personnes qui ingurgitent des plâtrées de spaghettis pendant les trois bonnes heures que dure le film, AUCUNE ne soit capable de faire un joli tourbillon de pates et avaler ça proprement sans que ça pende. Le fait que l’héroïne ne puisse pas pleurer sans avoir systématiquement le nez qui coule d’une manière que nous pourrions facilement qualifier de disgracieuse. Le fait que nous ayons l’impression d’apprendre à lire au même rythme que les enfants de CP, tant les passages dans l’école s’étirent et s’allongent. Le fait, enfin, que cette même héroïne n’aie pas de portable: on y croit pas une seconde.


Adèle se côte


Passés ces (légers) écueils, reste à prendre une dernière précaution, en évoquant en deux mots la prestation de Léa Seydoux.
Je ne remets pas en cause son talent –qui existe- et sa capacité à s’approprier les rôles les plus exigeants. Par contre, le décalage entre ses performances et la place qu’elle prend dans l’univers artistique me laisse circonspect. Sans vouloir mettre ce phénomène sur le compte de sa situation de "fille de…", je ne peux m’empêcher de penser que cela contribue à l’aspect un poil "too much" du transport des foules, notamment journalistiques. On ne choisit certainement pas, dans un casting, la petite fille du président de Pathé ou de la nièce de celui de Gaumont pour ses rapports familiaux, mais cette filiation est sans doute un peu pour quelque chose dans l’écho dont elle bénéficie dans la presse. Inconsciemment, on se met dans les petits papiers de gens influents quand on se montre à ce point dithyrambique.


Tout cela ne saurait cependant pas s’appliquer à la récompense obtenue par le film.
Le Kechiche a dû quand même être sacrément surpris d’obtenir la palme. Mettez-vous à sa place : vous adaptez une BD dans laquelle vous pouvez glisser vos deux ou trois obsessions habituelle (de la bouffe, de la palabre et des culs de filles nues en gros plans) et on vous décerne le bibelot magique, celui-là même que certains monuments du cinéma attendent depuis 50 ans.
Parfois, la vie est chouette.


Putain d’Adèle


Le film propose quelques jolies choses (j’y reviens un peu plus bas), mais m’a néanmoins intrigué sur un ou deux points.
S’il s’était agi d’une histoire d’amour du même tonneau mais entre hétéros, et si Abdelatif n’aimait pas à ce point la partie charnue des filles située entre le haut de la cuisse et le bas du dos, aurions-nous eu droit à la même complaisance dans la mise en scène des scènes de cul ?
Leur longueur et leur crudité amènent-elles la moindre plus-value au récit ?


Une scène de rupture aussi ratée que celle qui entache cette histoire ne pourrait-elle pas constituer une sorte de note éliminatoire, comme quand un couple de danse sur glace se vautre sans grâce devant les télés du monde entier ou quand le cheval refuse l’obstacle ? Mal écrite, mal jouée, mal dirigée, elle surgit comme une irruption violente de furoncle sur le visage délicat de la jeune fille timide a laquelle, au fil des rencontres, on trouvait de plus en plus de charme.


Elle ne pratique pas la langue morte, Adèle
(et merde, je m’étais promis de pas la faire celle-là)


Reste un beau portrait.
Au fil d’interminables minutes de dialogues sans réel intérêt si ce n’est de donner l’illusion du réel, Adèle prend au fur et mesure une consistance et une épaisseur étrange, à travers un parcours à la fois banal et singulier, que ne réussit pas à ternir un discours général simple(iste ?) illustré de manière pataude (la lutte des classes, toussa).
La bouche perpétuellement entrouverte, laissant échapper un babil rauque aux intonations étrangement dénuées d’intonation, Adèle s’impose peu à peu, par ses goûts, ses choix, sa vulnérabilité et sa façon de ne pas juger, en donnant par petites touches, tout au long d’une trajectoire heurtée, une touchante impression de sincérité à travers un amour menant à l’impasse et au retrait.


C’est beaucoup et c’est bien peu.
Loin, en tout cas, de prétendre au statut de film plein ou total que laisse supposer la récompense suprême auquel il a eu droit.

guyness

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