Une Sofia Loren (Cesira) incroyable soutient ce film, elle qui y incarne à la fois la gaieté/la joie de vivre à toute épreuve sous cette menace insidieuse et constante de mort, l'amour sensuel quoique veuve et vertueuse (une petite souillure au charbon peut venir maculer ce front pur), la figure maternelle au sein découvert ne se séparant jamais de sa fille Rosetta, puis à la fin la figure de la Pietà qui tient dans ses bras sa fille bafouée mais qui ne pardonne pas ses agresseurs (De Sica reproduit d'ailleurs cinématographiquement ce célèbre thème religieux dans l'église où est consommée l’innommable atrocité et dans le lit lors de la scène finale). Par ailleurs, Cesira représente globalement une sorte d'allégorie d'un peuple perdu dans l'espace et le temps de l'Histoire, confronté à l'absurde guerre, mais continuant à marcher aveuglement sans savoir où il se rend.
C'est dans un arrière-plan réaliste que se meut Cesira et les siens, dans une esthétique fidèle au courant italien du même nom qui a fait les heures de gloire du cinéma national: décors nus, intérieurs réduits à presque rien, vêtements en loque, garde-manger vide, église pillée, ruines. Dans le même sens nous retrouvons une mise en scène très humble, sans trop d'effets ni de recherche formelle, à l'image de la vie modeste des personnages. Aussi, De Sica ne voulant pas en faire trop, le contexte se suffisant à lui-même, se met à distance du pathétique. Un plan résume ainsi à lui tout seul l'éthique du film: Sofia Loren au 1er plan qui pleure en silence, seule, sans que les autres personnages ne la voient: en arrière-plan: un jeune homme qui chante l'amour alors que la mort rôde. Entre les deux, la fille de 13 ans, Rosetta, qui innocemment, obéit à la volonté du jeune homme qui l'invitera à danser le soir même, parce qu'il faut bien quitter les bras de sa mère un jour, quitte à se jeter dans la gueule du loup.
Malgré une première partie assez morne, l'histoire prend une force considérable en s'approchant de la fin lorsque le drame personnel surgit. Un film assez méconnu du néo-réalisme italien, mais qui n'en compte pas moins.