La vie est un long fleuve tranquille par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Tout se passe pour le mieux au sein de la famille Le Quesnoy, famille bourgeoise guindée et catholique pratiquante. Celle-ci habite une villa dans les beaux quartiers d'une ville du Nord de la France et leurs activités sont centrées sur le culturel et les bonnes œuvres de leur paroisse.
Face à eux, voici la famille Groseille dont les membres aux revenus plus que modestes et aux comportements vulgaires vivent de fauche et de magouilles, cloîtrés dans leur modeste appartement des quartiers populaires de la même ville.
Rien ne disposait ces deux familles à se croiser si un gynécologue peu scrupuleux n'avait involontairement forcé le destin douze ans auparavant un soir de réveillon. En effet une fille Du Quesnoy et un fils Groseille sont nés le même soir de ce réveillon et dans la même clinique. L'accouchement avait été effectué par le docteur Mavial assisté de Josette, sa maîtresse à qui le médecin goujat avait promis la soirée avant de se dédire. Or par vengeance la maîtresse éconduite et humiliée avait décidé alors de changer les bracelets des deux enfants. C'est ainsi que Momo né Le Quesnoy se retrouve intégré à la famille Groseille et que Bernadette Le Quesnoy est une Groseille. Mais douze ans après cette manipulation, Josette toujours insatisfaite par son amant décide de révéler cet échange aux deux familles. ...

La vengeance d'une femme bafouée par un homme d'une extrême froideur et d'une grande perversité dans ses relations va déclencher un énorme cataclysme au sein des deux familles qui ne demandaient rien à personne. Ces deux familles sont de classes totalement opposées. Les parents Du Quesnoy sont de rigides catholiques pratiquants. Leur vie très structurée est sans véritable surprise, seule la bonne un peu nunuche semble poser quelques problèmes que la maitresse de maison a bien avoir du mal à cerner.
La grande occupation reste bien sûr l'organisation de la fête paroissiale que le père Aubergé mène de main de maître. Muni de sa guitare et de ses choristes d'occasion, il met la salle en délire avec son tube culte: "Jésus revient parmi les siens". La vie va progressivement se bouleverser lorsque Maurice dit Momo débarque dans cette famille bien calme, le faisant passer pour un enfant adopté. Le gamin vient de cette famille Groseille avec sa marmaille grouillante autour d'un père chômeur et invalide de guerre et une mère autant désocialisée que ses mômes. Ceux-ci vivent tant bien que mal dans leur appartement de la cité et leurs ressources sont au plus bas. Criblés de dettes, ils subsistent grâce aux vols à la tire et diverses combines.
Malgré le contraste saisissant entre ces deux clans, ils se verront dans l'obligation de se tolérer par l'intermédiaire de Momo et Bernadette, les deux enfants en plein désarrois. Il faut dire que la fille aînée Groseille n'est pas étrangère à ce rapprochement grâce a sa relation tumultueuse avec le fils aîné Du Quesnois et à l'intérêt physique que lui porte discrètement monsieur Du Quesnoy. Seule son épouse semble camper sur ses positions. Quant à Josette, la responsable de ce méli-mélo familial, elle a enfin réussi à dompter le docteur Mavial.

Dans cette œuvre restée célèbre grâce à certaines scènes cultes, Etienne Chatiliez nous brosse le portrait de deux mondes très contrastés. Il accentue les défauts et les failles des uns et des autres pour démontrer que des riches et des pauvres peuvent arriver à cohabiter et qu'en fait les petites joies des plus humbles deviennent parfois un grand bonheur. Les pépins de l'existence ne les désarment pas plus que cela car ils ont la parade à tout.
C'est alors que dans ce contexte, les enfants Du Quesnoy élevés dans les "bons principes" mais vivant une vie monotone vont trouver un réel plaisir à aller se baigner dans l'eau sale du fleuve, à boire de l'alcool voire à connaître une première expérience amoureuse. Telle est donc la morale qu'il convient de tirer de cette histoire un peu dérangeante pour certains qui, malgré ses outrances volontaires, se montre d'un réalisme implacable.
Les répliques d'Etienne Chatiliez et de Florence Quentin fusent et font mouche à tous les coups. Quant aux acteurs de cette délirante comédie, il est bien difficile de les dissocier tant ils collent merveilleusement à leur personnage. Citons tout de même Benoît Magimel dans le rôle de Momo, Hélène Vincent et André Wilms, dans le couple Du Quesnoy et Patrick Bouchitey dans le rôle d'un prêtre bout en train et devenu l'idole d'un soir pour sa chanson "Jésus revient parmi les siens".. Christine Pignet et Maurice Mons forment un couple Groseille hors du commun.

Laissez-vous donc tenter par cette fable d'Etienne Chatiliez qui égratigne mais voue à ses personnages une infinie tendresse. Chaque camp est visé par des caricatures fort acérées. Puis tout ce petit monde finit par se réunir malgré toutes leurs différences grâce à une joie de vivre et à une certaine insouciance communicative.