Evoquer ce film qui a été projeté depuis 2014 dans plusieurs villes en France, dans son intégralité (soit avec les 21 minutes inédites présentées au Festival de Cannes en 1989), permet aussi de rendre hommage à Peter O'Toole, disparu à Londres le 14 décembre 2013 à l'âge de 81 ans ; il avait d'ailleurs participé à une séance de synchronisation de sa voix sur la version restaurée. Cet Irlandais formé sur les planches reste en effet l'inoubliable interprète de ce rôle mythique qui en 1962 a rendu son regard bleu célèbre dans le monde entier. A cette époque, O'Toole était d'une beauté inouïe, et David Lean lui avait prédit une grande carrière. En effet, que serait Lawrence d'Arabie sans lui ? et inversement, que serait devenu O'Toole sans Lawrence d'Arabie?
L'aventure du film en elle-même est assez édifiante, elle est passionnante et bien évoquée dans les bonus du DVD collector. Aujourd'hui visible dans une version entièrement restaurée, fidèle au montage initial du réalisateur et augmenté de scènes inédites, le film connut un tournage épique ; David Lean était un perfectionniste qui travaillait parfois dans la douleur en réalisant des séquences prodigieuses mais jugé trop lent et trop attaché aux détails par les producteurs, d'où les coupures à la sortie. Lawrence d'Arabie reste sans doute son film le plus soigné, le plus fignolé et en même temps le plus épuisant, car les conditions de tournage furent complexes et éprouvantes : transporter et ravitailler une équipe de cinéma et des figurants en plein désert sous des températures suffocantes a dû être une sacrée expérience, mais tous étaient persuadés de participer à une véritable aventure.
Le film captive de façon sublime par sa photographie qui magnifie le sable du désert, car ici le désert est filmé un peu comme un personnage, avec une matérialité qui fascine l'oeil et envoûte l'esprit. La partition de Maurice Jarre contribue énormément à ancrer durablement le film dans la mémoire ; les accents de mélopée arabe enrobés dans les cordes et les cuivres d'un orchestre symphonique sont tout simplement envoûtants, et dès les premières notes entendues en écoute isolée, on y associe immédiatement le film.
Le casting est éblouissant : outre O'Toole qui fait preuve d'un jeu subtil, nous trouvons Alec Guinness (qui sera fidèle à Lean, déjà vu dans le Pont de la rivière Kwaï et qui sera dans le Docteur Jivago) en prince Fayçal, toujours aussi malicieux sous n'importe quelle défroque, Anthony Quinn affublé d'un faux nez en chef de guerre à l'énergie débordante, José Ferrer en Bey turc cruel et sadique, Claude Rains en diplomate habile, Anthony Quayle en officier britannique obtus, ainsi que le tout jeune Omar Sharif. David Lean cherchant un acteur arabe suffisamment bon et parlant anglais, ce jeune égyptien se présenta sans trop d'espoir, mais Lean conquis par son naturel, l'engagea, et pour lui aussi, ce fut le démarrage d'une grande carrière internationale ; plus de 50 ans après, et jusqu'a sa mort, il donnait encore des interviewes sur le tournage. La première scène où il rencontre O'Toole au puits est absolument magique, c'est l'une de mes préférées. Lawrence d'Arabie reste donc un pur joyau du 7ème Art, il a connu un succès phénoménal dans le monde et a raflé plus d'une centaine de récompenses, dont 7 Oscars. Son déploiement d'acteurs, ses scènes d'action et de foule, son souffle épique, sa musique, sa photo, ses acteurs... tout est magnifique et reste mémorable, inaltérable, indémodable.