Donzoko est tourné à un moment où le cinéma de Kurosawa s'assombrit. L'humaniste mondialement exporté est rongé par le pessimisme. Il tire ce film des Bas-fonds de Maxime Gorki, pièce rédigée en 1902 par cet intellectuel partisan de la révolution bolchevik. Les anti-héros à l'affiche sont une variété de rebuts ayant tout perdu, toujours été à la ramasse ou se trouvant exclus à cause de leurs vices. Le dispositif théâtral est approprié puisque le surplace de ces individus est intégral, relatif à leur décrochage social comme à leur abandon dans cette zone insalubre.


Le huis-clos se déroule dans le Tokyo féodal, au sein d'une espèce d'auberge semblant à ciel ouvert. Les murs sont fragiles, des rustines font guise de protection : tout ce qu'il y a de rassurant dans ce contexte, c'est que ces gens n'ont plus tellement à craindre, du moins quant aux menaces objectives. Les coups venant du dehors ne sont pas les pires. L'expropriation serait presque un cadeau, forçant ces habitants des bas-fonds à se mettre en marche, pour les aérer au moins, les pousser à l'activité au mieux. Car au lieu d'émerger, ils se perdent dans leurs petites passions douteuses et mesquines.


Le point de vue peut sembler sévère, mais s'il mord c'est en compatissant (pas en accusant). Bien qu'ils fassent part à l'occasion de leurs fantaisies, ambitions ou prétentions, ces pauvres gens sont aspirés par la déchéance. On ne se tire pas de la spirale de la dégradation, surtout si on y trouve quelque confort, le seul que la vie nous accorde. Pourtant le fatalisme est toujours nuancé par une espèce de satisfaction incommunicable, une sorte de contentement secret ; parfois même, par une orientation vers l'avenir, une espèce de foi sans consistance dans quelque succès improbable.


La crasse dégouline tellement qu'elle finit par endurcir. Cet opus n'est pas le plus dense ni le plus brillant de Kurosawa, mais il compense par l'audace et la violence des expressions. Dans ces Bas-fonds le cinéaste s'autorise une vulgarité inhabituelle, des pics d'hystérie ou des foucades qui seraient muselés sous d'autres hospices. Ces spécificités font de Donzoko un des Kurosawa les moins loués, voire un de ses canards boiteux jusque chez les défenseurs. Pourtant, s'il n'y a pas la force Vivre ou de L'Ange Ivre, à cause de la dispersion (en personnages et en drames), la séance est poignante et constitue une peinture intuitive, sensible, de l'auto-destruction.


https://zogarok.wordpress.com/2016/02/22/les-bas-fonds-kurosawa/

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le 21 févr. 2016

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