Prenant de grandes libertés stylistiques avec l’Histoire, Ken Russell raconte à sa manière, toujours aussi hystérique et provocante, la tragédie des possédées de Loudun (1634), sombre affaire de sorcellerie enchevêtrant exorcismes, Inquisition, vengeance et machinations politiques. Sur les bases de ces faits réels impliquant le cardinal de Richelieu et autres grandes instances sacrées, Russell dénonce l’intolérance, l’obscurantisme religieux ou moral qui résonnent encore, aujourd’hui, d’un fort écho dans toutes les formes de censure et de fanatisme. En 1961, Jerzy Kawalerowicz livra initialement son exégèse de l’événement avec son film Mère Jeanne des Anges, centré davantage sur le cas de possession démoniaque des Ursulines, en tout cas interprétation plus austère et plus rigoureuse de ce récit dramatique.

Tout, dans Les diables, est propice à l’exagération coutumière de Russell : les onirismes, la violence, l’érotisme, l’interprétation (Vanessa Redgrave est littéralement habitée) et les décors (du futur réalisateur culte Derek Jarman) qui associent baroque moderne et éléments d’époque. Mais derrière la frénésie et l’esthétique clinquante, derrière les sacrilèges, les scènes cruelles et érotiques qui firent scandale, Russell livre un pamphlet convulsif sur les obscures connivences entre l’Église et le pouvoir, décrites ici comme une gabegie délétère et malsaine préhensile à tous les excès, à toutes les manigances pouvant permettre l’accès à des aspirations d’influence ou d’autorité.

Chacun lutte aussi, d’une façon ou d’une autre, contre ses pulsions physiques, démons spirituels ou envies glorieuses, et toutes les frustrations qui en résultent n’amènent, de fait, qu’à un fonctionnement chaotique d’une société dite "civilisée" s’abîmant dans la folie obsessive, dans l’outrage constant. Ce ne sont, dès lors, que grimaces et délires, imprécations et hurlements, bacchanales et tortures. Russell ne cherche pas le raffinement d’une reconstitution historique classique, mais y préfère sans cesse la démence et l’exaltation, presque le mauvais goût, pour exprimer sa vision sulfureuse d’un catholicisme spasmodique et dévoyé, prêt à des pratiques abominables (supplices, bûchers, chantages, extorsions, purifications barbares) pour servir l’expansion autocratique de sa souveraineté.
mymp
10
Écrit par

Créée

le 15 nov. 2012

Critique lue 951 fois

14 j'aime

9 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 951 fois

14
9

D'autres avis sur Les Diables

Les Diables
guyness
8

Les diables, hautains.

La vie est souvent curieuse. Comment expliquer que je trouve De Palma (sujet d’un de mes récents et habituels courroux) comme un auteur au mauvais goût assumé dans le plus pur esprit baroque...

le 25 juin 2013

53 j'aime

15

Les Diables
Morrinson
8

May your body be consumed by eternal fire!

"Les Diables" représente assez bien le potentiel créatif des années 70, déjà, en 1971. J'ai rarement vu ailleurs une telle folie artistique, un tel mélange de goûts douteux aussi bien maîtrisés,...

le 6 avr. 2016

25 j'aime

4

Les Diables
pphf
9

Aimez-vous les uns dans les autres

Dès les premières images du film, dès la première séquence, on a compris. On croit avoir compris, du moins. Le roi Louis XIII, "vêtu" d'une coque en coquille Saint-jacques et de platforms shoes...

Par

le 30 juin 2013

20 j'aime

4

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25