Christina et Nicole (Simone Signoret et Véra Clouzot), respectivement femme et maîtresse du directeur du pensionnat où elles travaillent, Michel Delasalle (Paul Meurisse), n’en peuvent plus de l’existence que ce dernier, homme odieux par excellence, leur fait mener. Entraînée par Nicole, Christina accepte la proposition de cette dernière : partir en week-end impromptu dans sa maison de Niort, afin d’y attirer Michel et de l’y assassiner…
Parmi les grands mystères de l’univers, qui vont de la raison de l’existence de l’homme à celle de l’existence de Christine Angot, il y a de nombreuses questions qui ne resteront pas moins sans réponse. L’une d’entre elles concerne évidemment la scène finale des Diaboliques, film policier dans lequel Henri-Georges Clouzot montre une fois de plus toute l’étendue de son (immense) talent de metteur en scène. Il faut dire des Diaboliques qu’il nous offre 1h53 de pur chef-d’œuvre. Sur une durée de 1h56, on pourrait être tenté de dire que c’est énorme… Seulement voilà. Tout réside dans ces 3 minutes finales, durant lesquelles on se demande comment il est possible de ne pas se rebeller contre un scénario qui s’autodétruit d’une manière qui ferait presque passer David Fincher ou M. Night Shyamalan eux-mêmes pour des petits joueurs !
C’est donc avec un goût terriblement amer que l’on sort de ce film au bout d’1h53 duquel j'étais prêt à crier au chef-d’œuvre. En effet, durant ce laps de temps somme toute honorable, Clouzot nous rappelait combien il est un grand réalisateur, construisant minutieusement une atmosphère fascinante, évoluant lentement mais sûrement vers une intrigue fantastique où le spectateur, happé par un travail d’ambiance hallucinant de sobriété et d’efficacité, perdait petit-à-petit ses repères en même temps que Christina. Tout sonnait juste dans ce film où la mise en scène tombait constamment au poil, de même que les prestations d’un casting parfait en tous points, à commencer par deux actrices principales au sommet, mais également un Charles Vanel qui crève l’écran en quelques minutes d’apparition. Tout concourait à faire des Diaboliques un chef-d’œuvre du film policier, du film noir et du film fantastique tout à la fois, grâce à cette ambiance oppressante et étudiée dans les moindres détails, que même quelques pointes inattendues mais bien senties d’humour noir ne faisaient que renforcer.
Seulement, c’était sans compter sur ce final qui sape toutes les (pourtant solides) bases sur lequel le film avait pris le temps de se construire, contournant brillamment toute facilité jusqu’à ce suicide scénaristiques terriblement décevant. In cauda venenum, disaient les Romains. Malheureusement, si le venin des orateurs romains était destiné à leurs ennemis, celui des Diaboliques se retourne contre lui-même. Et de ce qui pouvait être un chef-d’œuvre, ne reste plus qu’un film policier dont l’intérêt et la fascination qu’ils suscitent (et qui en font tout de même un bon film) ne parviennent pas à cacher la profonde malhonnêteté.