- Si je pouvais crever pour de bon, et ne plus le voir.
- Et bien crève, ma chérie, crève bien vite. On te fera un bel enterrement, et on sera bien débarrassé. La boutique s'en portera pas plus mal, et moi je m'en porterai bien mieux.
Certains films de Clouzot sont formidables et celui-ci n'échappe pas à la règle. Réalisateur de génie où chacun de ses longs-métrages était un événement, incarnant la représentation d'une époque dans la manière de présenter le cinéma aujourd'hui disparu. Un véritable Hitchcock à la française qui pour l'anecdote à coiffé au poteau le cinéaste britannique légendaire, qui était lui aussi intéressé par les droits du livre. Est-ce si extraordinaire pour autant, j'en doute. Clouzot était loin d'être méconnu, sa notoriété traversant les continents. La preuve en est avec ses nombreuses adaptations américaines pour la plupart ratées.
S'inspirant d'un roman de Boileau et Narcejac ''Celle qui n'était plus'', Henri-Georges Clouzot construit une allégorie angoissante expectative à couper le souffle, dans une intrigue noire alimentée de conspirations et autres diableries confectionnée avec une âpreté et une adresse remarquables. Une oeuvre percutante, aux conséquences redoutables et aux renversements scénaristiques bluffants, d'une technicité sidérante même encore aujourd'hui, interprétée par une triade de comédiens incroyables avec Véra Clouzot, Simone Signoret et Paul Meurisse.
Le plus surprenant avec ce récit, c'est que même lorsque l'on connaît la chute de l'histoire, il reste tout aussi bon à revoir. En effet, à chaque visionnage on découvre de nouveaux ressorts cachés démontrant l'amplitude de l'oeuvre.
Le scénario propose une histoire sordide mettant en avant la violence conjugale par un mari exécrable au possible violentant et violant sans retenue sa femme qu'il méprise, mais ne quitte pas pour sa fortune. Un écho au patriarcat d'une époque où l'autorité prépondérante du père donne un droit à l'ignominie. C'est ainsi que sa femme ainsi que sa maîtresse elle aussi maltraitée, s'allient pour mettre en place un plan pour le supprimer. Une fois faites, les choses ne s'avèrent pas aussi simples, car bien que mort le cadavre lui n'est plus.
Arrive alors un jeu d'énigmes diaboliques, rempli de fausses pistes alimentant le mystère autour de la disparition du corps. Toute l'amplitude émise autour de la scène de la piscine en est un parfait exemple. Une séquence délivrant une psychose retentissante. Ainsi le spectateur rentre allègrement dans un jeu d'anticipation, participant à la tension de la machination aménagée pour lui. L'évolution dans l'inconnu est essentielle à la finalité et cela Henri-Georges Clouzot l'a très bien compris. C'est ainsi qu'avec raison au moment de la sortie du film, un travail phénoménal avait été fait pour que les spectateurs ignorent tout de la conclusion. Une véritable opération commando comme avec des affiches sur l'attitude à tenir, qui avait porté ses fruits, mais qui aujourd'hui en 2019 se serait avéré vain.
" Ne soyez pas diabolique. Ne détruisez pas l'intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu. Merci pour eux. "
Les Diaboliques est une description réaliste et glaçante située dans un cadre fédérateur pour son ambiance : une pension pour enfants. Avec ses longs couloirs et ses nombreuses pièces, l'établissement devient le théâtre idéal pour les sombres machinations du récit. Imprégnée de la mise en scène savante du cinéaste, cette technicité d'exécution transmet une atmosphère abjecte et étrange. Les différents plans transmettent quelque chose d'âpre et de mystérieux, à caractère abstrait avec un rythme de découpage parfait dont une luminosité intelligente.
La partition de Georges van Parys fait également son effet notamment lors de la musique d'intro à la tonalité bizarre, dans lequel on peut entendre des enfants chanter en choeur avec des voix étranglées. Cela confère d'emblée une atmosphère inquiétante en résonance avec le vice décrit par Clouzot d’une société moralement malade. Un déclin moral propice à l'amélioration à venir pour les femmes, même si le film n'est aucunement favorable à la moindre gaieté, ni à l'espoir. Une vision fataliste d'une époque révolue. Le pragmatisme froid de personnages déshumanisés dans une symbolique machination révélée dans un final diabolique.
Le trio de comédiens est incroyable ! Dirigé d'une main de fer par le cinéaste qui en en fait voir de toutes les couleurs à la triade.
Paul Meurisse dans le rôle du bon gros salaud désopilant, prend un plaisir véritable à jouer les ordures et ça se voit. Réellement crédible dans son rôle odieux, il fait des merveilles. Pour l'anecdote il fut critiqué et moqué par le cinéaste car incapable de révulser ses yeux. Apparemment cela ne l'a pas plus dérangé que cela, vu qu'il retournera plus tard avec le cinéaste.
Simone Signoret est incroyable dans sa performance , elle porte littéralement son personnage dans les sommets de l'interprétation. Une incarnation forte pour un personnage qui l'est tout autant. Beaucoup de charisme se dégage d'elle, à l'écran elle prend toute l'attention.
Véra Clouzot incarne de loin mon personnage favori. Grandement critiqué pour ce rôle dans lequel soi-disant elle surjoue, ce qui n'est pas mon ressenti, je la trouve authentique. C'est sûr que ce rôle, elle le doit à son mari le réalisateur, qui pour rappel doit lui-même l'idée de ce film à elle qui l'a incité à lire le roman, dont il achètera les droits le lendemain pour le réaliser des mois après. À mon sens, c'est un juste retour des choses.
CONCLUSION :
Plus de 60 années après "Les Diaboliques" reste un film de qualité présentant une histoire de mystification. Un incroyable travail technique amenant le top du top dans la mise en scène, la plastique, la réalisation ainsi que le découpage. Un souci du détail surprenant qui colle parfaitement avec la rudesse d'Henry Georges Clouzot. Ce film est absolument fascinant, capable d'absorber les petits défauts (son final malheureusement trop rapide) pour en faire sortir le meilleur. Un film malin et insondable pour un trio de comédiens fabuleux.
Les Diaboliques est un film intense et oppressant qui laisse un drôle de goût dans la bouche, celui de s'être fait berner. Une oeuvre de taille fédératrice d'un cinéma français aujourd'hui en voie d'extinction.