La grande fresque manichéenne d'un génie formel
La série la plus violente des années 1960 aux Etats-Unis était Les Incorruptibles, où était retranscrite la traque d’Al Capone sous l’ère de la prohibition. Près de trente ans plus tard, la réalisation du film éponyme est confiée à Brian De Palma : gage d’une mise en scène exaltante. Mission parfaitement accomplie et sublimée. Les Incorruptibles n’est pas un De Palma caractéristique, d’aucune période, par contre il fait partie de ses grands crûs et des meilleurs du genre.
Pour raconter la lutte de deux policiers et leur équipe afin de faire tomber Al Pacino, De Palma s’entoure d’un casting redoutable. Il permet à Keanu Reeves d’intégrer son premier blockbuster en occupant le rôle principal (celui d’Eliot Ness, superviseur de la traque) et révéla Andy Garcia au grand-public. Le cabotinage de Sean Connery relança sa carrière dans la foulée du Nom de la Rose et lui valu un Oscar du meilleur second rôle. Enfin, Robert de Niro incarne Al Capone et pour l’occasion, trouve une nouvelle position dans l’univers des mafieux. L’intérêt de l’acteur pour ce costume se ressent et sa prestation est triomphale. Mais sa plus grande originalité, c’est d’être un roi restant à distance.
Ainsi Les Incorruptibles marque une rupture avec la sale manie des films de gangster : les méchants sont au second plan, les héros, ce sont les gentils et leur vertu n’a d’égal que leur courage, leur sens du devoir.. et leurs paradoxes aux entournures. Prêts à tout pour détruire Al Capone, les hommes de loi savent combiner la morale et l’efficacité ; tout particulière Sean Connery aka Jim Malone, le vieil expert irlandais aux méthodes radicales. Il est de loin l’individu le plus fascinant de la troupe, sa maturité justifiant les écarts et les excès. Il fait gagner la juste cause et développe ses collaborateurs en apprenant à Eliot à changer les règles du jeu. Tout au long du film, Brian De Palma nuance les portraits et les positions, accorde une profondeur et des originalités de caractères aux personnages, mais toujours au service d’une grande fresque manichéenne.
Les mouvements de caméra, composés d’énormément d’alternances plongées/contre-plongées, renforcent ce langage. Le scénario de David Mamet est brillant. Il contribue à cette sensation d’évidence ressentie devant Les Incorruptibles : c’est simple mais c’est percutant, entier, parfait, comme dans les contes ou les grands moments (de cinéma, aussi). L’Histoire est desservie, car les intrigues réelles autour de Al Capone sont légèrement déformées à la faveur de cette hagiographie romantique des hommes de l’ordre, légalistes chevaleresques et pourtant lucides. Le film repose après tout en partie sur une série où certains personnages étaient factices et sur les mémoires d’Elliot Ness (The Untouchables, paru en 1957).
Ce Chicago des années 1930 est le théâtre d’une lutte au sommet, porté par une mise en scène hypertrophiée et élégante. La véracité des faits et l’humilité ne sont pas au programme d’un chef-d’oeuvre citant ouvertement Scarface de Howard Hawks en général et Le Cuirassé Potemkine en particulier lors de la plus fameuse scène du film, celle de l’escalier. Il en résulte un spectacle foudroyant, d’une ampleur folle, qui sera le plus gros succès de Brian De Palma et lui assurera de beaux lendemains. Il s’autorisera alors via Outrages à remettre en question les forces armées américaines et l’intervention de sa nation au Viêt-Nam, de manière quasiment aussi manichéenne, moins surchargée, plus vraiment baroque.
http://zogarok.wordpress.com/2014/08/01/les-incorruptibles/