Les bons, les putes et les truands
(Journée Laclos : 2/4)
L’adaptation d’un œuvre aussi complexe et retorse que le chef d’œuvre épistolaire de Laclos suppose des choix. En s’appuyant sur la version théâtrale du roman, Frears permet un compromis qui va permettre aux singularités cinématographiques de se mettre au service du texte.
La film s’attache, comme toute grosse production hollywoodienne, à reconstituer avec précision une époque. Jardins la française, châteaux, opéra, intérieurs dorés à l’or fin, rien ne manque à l’écrin des libertins ; cette première fascination du spectateur est accrue par la longue ouverture où l’on donne à voir le parement des individus, corsetés, maquillés et coiffés, enfilant leur armée pour aller affronter la société mondaine.
De l’intrigue, le film respecte les enjeux majeurs, délaissant légitimement les excroissances tentaculaires du roman, raccourcissant les conquêtes et les évolutions des personnages.
Mais du glissement dramaturgique à la mise en image, la grande réussite de Frears réside moins dans la débauche de décors et de figurants que dans la possibilité de recourir au gros plan. A l’implacable et savoureuse rhétorique des libertins dans leur lettre, le cinéaste substitue l’art de la séduction par les visages, à la fois marmoréens par leur blancheur et dotés d’un pouvoir de séduction illimité. Valmont est un serpent fielleux dont le regard se colore de plus en plus de sincérité. Merteuil voit Glenn Close appliquer à la lettre tous les préceptes énoncés dans la fameuse lettre 81, où la maitrise absolue d’un rictus ou de la tension d’un cil terrasse l’adversaire.
C’est donc dans l’intimité des alcôves que se joue la plus grande partie du film, qui privilégie les face à face et accorde davantage de place au couple central Merteuil-Valmont qu’aux autres, faisant de la blessure d’orgueil de cette dernière un élément plus explicite que dans le roman.
Une séquence particulière, celle du concert chez Mme de Rosemonde, synthétise cette approche : uniquement focalisée sur les regards, elle s’attarde sur les portraits de Merteuil, Valmont et Tourvel et instaure, sans dialogue, la dichotomie entre les jeux de pouvoir libertins et la découverte du sentiment amoureux.
Porté par des comédiens qui ont l’intelligence de comprendre que c’est dans la mesure que se niche l’intensité, Les liaisons dangereuses allie toutes les qualités du film à gros budget à la subtilité de son propos.