Quartier cosmopolite, les Olympiades incarne à travers le nouveau film de Jacques Audiard un espace hétéroclite fort agréable visuellement dans son image en noir et blanc tout comme ses personnages qui y sont exposés. Dans un monde qui va vite, qui profite de l’instant présent, l’œuvre nous dresse des portraits diversifiés qui s’expriment d’abord par leurs corps et qui discutent seulement après, ainsi Camille, Émilie, Nora et Amber sont nos protagonistes aux histoires qui s’entrecroiseront. Dans l’ère de son temps, sans jugements ni attaques, le réalisateur Jacques Audiard accompagné à l’écriture de Léa Mysius et Céline Sciamma, nous livre une œuvre rafraichissante, drôle et intelligente.
Le récit porte avec grâce nos personnages sublimés par la mise en scène ainsi que la très bonne musique de Rone qui apporte un vent de nouveauté dans l’ambiance séduisante du film. Le jeu des acteurs est agréablement convainquant, on croit en leurs caractères et leurs vies tout à fait crédibles en pleine phase avec notre temps. L’histoire s’illustre sans tabou, les corps intègrent l’image avec force, ils sont quotidiens, habituels, le but n’est pas de choquer mais de montrer la sexualité sans chasteté ni pudeur. Ce choix du noir et blanc pour donner un aspect cinématographique à Paris, apporte une belle originalité dans sa contradiction avec la thématique moderne mais également de son rapport corrélatif avec la Nouvelle Vague tant dans son style que dans ses personnages.
De ce fait, l’œuvre nous laisse voir des caractères jeunes et contemporains de moyenne classe en quête de soi-même du passage entre une certaine volatilité à une stabilité dans la société. Ils tentent de s’épanouir plus ou moins à travers leur recherche de jobs, dans leurs ambitions amoureuses et leurs obstacles qui se dressent devant eux…
Il est temps maintenant de passer au « plan Cubick », où je vais aborder les deux axes principaux parmi nos quatre protagonistes. Au risque de vous divulgâcher ce superbe film, je vous conseille de ne descendre pas plus, avant de l’avoir vu. Alors sans plus attendre, quittons la cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine pour le 13ème arrondissement de Paris :
Des amants aimantés ?!
Camille, à ne pas s’y tromper est un homme, il est interprété par Makita Samba qui joue à merveille un professeur, qui « compense sa frustration professionnelle par une activité sexuelle intense » selon ses propres dires. Il rentre en colocation avec Émilie qui l'accepte sûrement grâce à son charme naturel et sa façon de parler. Il dispose d'un franc parler qui peut être drôle voire condescendant suivant les moments notamment lorsqu'il met sur le devant ses études. Concernant sa famille en deuil après la mort de sa mère, on nous présente son père (Pol White) et sa sœur Éponine (Camille Léon-Fucien), c'est d'ailleurs son comportement avec celle-ci qui sera approfondi avec la perspective d'humour qu'elle a. En effet, malgré son jeune âge de 16 ans, il lui avoue des réflexions assez décourageantes alors qu'elle se cherche, tandis que lui; plus âgé, se cherche encore. Après la remarque percutante et sage de son père, il se mettra à encourager Éponine dans son ambition humoristique qui lui permet de surpasser son bégaiement. De plus, il est confronté à des amants, Émilie ou encore une collègue qui se retrouve alors intrusive dans l'appartement d'Émilie, conséquence de leur rupture de sociabilité. Enfin, son rapport à l'éducation est intéressant, il est abordé à plusieurs reprises, dans les fameuses fêtes karaoké ou encore de sortie scolaire, il avoue qu'il adore enseigner mais qu'il est muselé avec son salaire et l'avenir peu flamboyant de ses élèves, présentant un personnage éveillé en objection avec certains points sociétaux.
Émilie, jeune franco-chinoise passant de petit job en petit job avec un bagage de sciences politiques, est interprétée superbement par Lucie Zhang, la révélation du film qui apporte une fraîcheur dans sa façon de parler et de rentrer dans son personnage de femme insouciante qui profite continuellement du jour présent. Par la même occasion, elle livre des scènes visuellement travaillées et éclatantes telles que la scène où Émilie court sous la pluie sous MDMA avec un effet ralenti accompagné de sa pensée et d'une musique envoûtante (MDMA), ou encore la scène où elle se met à danser baignée de joie dans le restaurant où elle travaille avec la musique entraînante de la Bande-annonce (Emilie dance). Son personnage est touchant car elle a des défauts qui seront pointés du doigt par ses proches puis par elle-même, les scènes les plus démonstratives étant par rapport à sa sœur qui tente de la conseiller en vain, qui pointe le fait qu'elle est immature et égocentrique, de même avec sa grand-mère dont elle doit s'occuper. Toutefois, son attitude ne lui permet pas réellement de prendre soin de sa grand mère touchée par la maladie d'Alzheimer. Une fois trop tard, elle pleure et se juge en criminelle, le tout renforcé par sa mère qu'elle a au téléphone sous sermon, elle prend alors conscience de son erreur trop tard : un événement qui va la forger pour son futur. Son amour divague et l'interroge sur elle même, elle aime Camille quand lui ne voit le sexe que par envie, sans sentiments dans le temps. Après plusieurs mois, ils se retrouvent, ils parleront, s'amuseront, se séduiront de nouveau, Camille l'accompagnant dans un événement douloureux, il a fait le choix de la suivre...
Webcams de nos Amours !
Nora est une femme qui décide de reprendre ses études à la faculté, elle est incarnée admirablement par Noémie Merlant qui en fait un personnage profond aux multiples facettes. L'associer à un seul adjectif serait réducteur mais son charme réside dans son mélange d'insouciance, d'étourderie et de naïveté, sans tomber dans les travers d'un personnage dénué de sérieux. Son rapport à la sexualité est abordé de façon complexe parmi divers prismes, d'ailleurs c'est sûrement le caractère le plus écrit en terme de portrait. Ainsi, on comprend notamment qu'elle a connu une relation d'abus avec son oncle, plus tard on entendra Nora appeler son oncle la réduisant à ce qu'elle ne veut pas être, un objet sexuel. Sa remise en action dans les études n'est pas sans soucis dans ses relations sociales, notamment avec un malentendu témoignant des travers de la diffusion des réseaux sociaux. De ce fait, elle est prise pour une showgirl au pseudo d'Amber Sweet, et s'entoure d'une réputation humiliante à son insu. Femme décalée, dans une dynamique tout autre, elle se retrouve bloquée dans la réalité et c'est via le virtuel qu'elle se connecte au monde, sa souffrance se convertissant en bonheur...
Dans l'immobilier, Nora postule dans l'agence en possession de Camille qui assiste un de ses amis. Leur relation est un point marquant dans le développement de Nora qui est amenée à s'épanouir de plus en plus après une période déroutante dans sa vie. La jeune femme trentenaire entend prendre en charge sa vie, et aidera Camille dans l'aménagement et le travail de l'agence immobilière. D'abord froide, elle repoussera les yeux assoiffés de Camille, puis ils mettrons en place une relation plutôt fusionnelle. La frigidité de Nora sera remis en cause par Camille et Émilie, de même que le caractère grivois du professeur. Lors d'une scène de sexe entre les deux, pour une fois Nora révèle un visage plus conquérant en prenant le contrôle de Camille, montrant par la même occasion son évolution de confiance. Une claque qu'elle fait à son passé, une claque à ses discriminateurs, notamment illustré lors des retrouvailles avec Leïla qui subit une bien belle gifle, Nora s'affirme enfin...
Amber sous pseudo, mais Louise dans la vie est jouée par la chanteuse Jehnny Beth. Elle apparaît alors pour la première fois avec une scène plutôt dérangeante et particulière avec sa prestation de charme numérique. Passé outre cette scène, elle deviendra au fur et à mesure du film une confidente pour Nora qui tente alors de lui expliquer ses troubles et de comprendre mieux Amber, en payant pour une simple discussion sous le pseudo de son propre nom. Au fil de leur discussion, les deux femmes s'adoptent, Amber devient protectrice de Nora lors des nuits, leur relation dépasse alors le cadre de l'ordinateur nous offrant leur rencontre dans leur réel. L'illustration de leur rencontre est très belle, mélangée de passion et de timidité, elle clôt leur histoire avec brio, elles partent main dans la main...
En définitive, Jacques Audiard nous propose un film intimiste dans l’ère de son temps et questionne ces modes de vie, interroge ce rapport au sexuel et aux réseaux sans pour autant tomber dans une vision archaïque et condamnatrice. C'est un regard neuf qu'il retranscrit au travers de vies dans une thématique charnelle qui exprime souvent l'action, sans la montrer comme indécente mais comme naturelle car c'est leur choix de destinée.