--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au onzième épisode de la cinquième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Secret_of_the_Witch/2727219
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Thelma et Louise chez les sorcières, chapitre 2.
Cette fois ce n’est pas le réalisateur qui me sert de lien entre les deux films, mais -entre autres éléments, et certainement le plus quantifiable- la présence de la formidable Susan Sarandon. J’aurais aussi, certes, bien sur pu faire le rapprochement entre le film de ce soir et la double tête d’affiche de Wolf, film de 7 ans son cadet, et qui s’est retrouvé il y a trois ans de ça très bien placé dans mon classement final du mois-loup-garou. J’aurais d’autant plus pu que je suis désormais certaine que son rôle dans Les Sorcières d’Eastwick aura inspiré Jack Nicholson pour son rôle dans Wolf. d’ailleurs bon, maintenant que c’est écrit, finalement je l’ai fait le rapprochement. N’empêche que celui que je préfère faire reste un road-trip western et non un autre film de monstre. Bizarre ? Non, laissez-moi m’expliquer.
Déjà et pour finir avec mes histoires de comparaisons, j’aurais finalement pu faire des rapprochements avec moult piliers du septième art, tant le générique est gratiné de super-stars : les 4 rôles-titres (Susan Sarandon, Michèle Pfeiffer et Jack Nicholson donc, agrémentée de rien moins que Cher), un compositeur vaguement connu du nom de John Williams, et un chef opérateur à peu près débrouillard appelé Vilmos Zsigmond (d’ailleurs les deux avaient déjà croisés leurs talents visuels et sonores sur Rencontre du Troisième Type, mais pour le coup je n’ai pas de parallèle à faire…). Et accessoirement, Monsieur Mad Max à la réalisation. Nous voila donc encore une fois en bien bonne compagnie ce soir.
Et ce qui me frappe en premier lieu, c’est que cette bonne compagnie n’est pas juste là pour faire joli sur l’affiche. Nos quatre acteurs stars crèvent l’écran, tous, et rivalisent de magnétisme. Mon affect personnel porte sa préférence, de peu, sur la sublime Susan Sarandon, mais tous prouvent en continue qu’ils n’ont pas volé leur célébrité. La réalisation et l’image sont soignés et hyper-efficace, on nous emmène là où il faut, quand il le faut, voir ce qu’il faut, avec élégance mais sans fioritures inutiles. A la musique, John Williams, qui m’a laissé plusieurs fois sceptiques même sur ses plus grands tubes, se surpasse et nous livre une partition impeccable, élégante, adapté et rehaussant encore d’un cran le niveau artistique, déjà très coté. C’est un film et pas un gala de charité, et la brochette de stars à l’affiche est une conséquence du niveau voulu pour le film, et non l’inverse.
Et si nous entrons d’un cran plus en détail, le film n’a toujours rien pour décevoir. Campant avec brio sur un équilibre impeccable entre comédie, aventure et fantastique, le scénario virevolte entre des dialogues zélés et des situations percutantes. L’une des premières scènes, la soirée entre les trois copines, qui dévie en montage alterné quand toutes trois commencent à fantasmer leur homme idéal, est à la fois un excellent coup de démarrage pour le film, qui révélera l’importance de chaque détail de cette scène sur ses deux heures de long ; une leçon de cinéma absolument sans faille, où photographie, direction, interprétation et mise en musique se renvoient la balle avec panache (notez ma jolie allusion à la scène de tennis qui viendra plus tard) ; et une plongée dans le fantastique tout en finesse, à la fois hommage au film de genre et douce parodie. Cette douce parodie ira titiller les connaissances du spectateur, quand après nous avoir fait comprendre pendant 10 minutes que le nom du personnage de Nicholson allait être déterminant, les personnages s’aventurent ensemble pour essayer de le retrouver. « Ça commence par ‘’Van’’… quelque chose » ; « c’est quelque chose avec un D… puis un R… oh ! Et un L... ». Il ne reste plus qu’à se souvenir que notre ami est arrivé « sur un destrier noir », et habite un manoir hanté, pour que l’imagination du spectateur se mêle à son goût pour les devinettes et la littérature horrifique du XIXe siècle. Cet inattendu Daryl Van Horne sonne alors comme un coup de réveil sacrément inattendu, et drôlement intelligent.
Car intelligent, c’est ce qu’est le film, malgré son statut de parodie. D’ailleurs, grand nombre des éléments comiques trouveront plus tard un fondement beaucoup plus important pour le scénario ou le développement des personnages. Le film est à l’image de la fanfare d’écoliers que dirige ma belle Susan (quelle costume sublime d’ailleurs pour cette scène), qui semble jeter sa partition, mais qui finalement se révèle diablement savant, jouant comme un morceau en canon, ou chaque élément est annoncé mais ne sera révélé dans toute sa splendeur que plus tard.
Et ce n’est pas tout ! Car ce qui m’amenait à faire le comparatif avec Thelma et Louise en début de critique, ce n’était pas qu’une comédienne en commun. C’est aussi, et surtout, un formidable cri féministe, qui constitue non seulement le coup d’envoi du film (chez Thelma et Louise, l’abandon du mari macho ; chez Les Sorcières d’Eastwick « les trois D » : divorce, disparition, décès), mais surtout son leitmotiv et sa conclusion. Tout dans ce film cri à la libération de la femme, à l’abandon du modèle familiale traditionnel, à la prise en considération de la sexualité et du désir féminin, à la dédramatisation de la maternité, à l’abolition des qu’en-dira-t-on dans les villages et les quartiers. Avec une surenchère de pouvoir (magique dans le film, sociale dans son interprétation), et un avantage pris par les femmes en fin de film qui se révèlent plus malignes et plus puissantes que leur ennemi masculin commun, le film emploi, enfin et pour la première fois de manière totale dans ce mois, sans la moindre once de doute ou de lecture contraire, la figure de la sorcière comme une véritable bannière féministe.
Génie formelle et militantisme poétique, le film de Georges Miller, malgré sa robe de comédie familiale oubliable, est un grand, grand film.