S'il fût un producteur attaché aux formules, Walt Disney n'aimait pas regarder en arrière et cherchait perpétuellement de nouvelles méthodes pour étendre et faire avancer son entreprise. Dans les dernières années de sa vie, il lui manque un dernier triomphe, l'apothéose qui accompagnera la création de Disneyland, la conquête de la télévision et son succès au cinéma. Mary Poppins prendra ce titre, film si glorifié et instantanément élevé au rang de classique que l'enchanteur n'essaiera pas de le recopier et ne changera en rien ses projets sur grand écran, s'en allant tout simplement vers des domaines plus grands. Revoir plusieurs fois cette oeuvre historique pour son studio pousse à en comprendre chaque mécanisme à l'origine de cette féerie, du début à la fin.


On est dans un premier temps désarçonnés par ce plan où Mary Poppins se tape l'incruste en plein générique d'ouverture pour nous avertir de sa présence alors que l'on contemplait calmement le ciel de Londres. Pas d'action, pas de parole, pas de logique scénaristique dans cette image, Robert Stevenson tient juste à nous signaler avec humour que nous devons nous préparer à sa venue avant même qu'on ne sache dans quoi nous nous embarquons.


Il passe alors le relais à Bert qui, là encore sans qu'on ne s'y attende, s'adresse à nous, face caméra et continuera à le faire jusqu'à ce que ses visiteurs le rejoignent à l'entrée du parc, les enfants Banks seront la projection des spectateurs, émerveillés par les choses fantastiques qui défileront sous leurs yeux mais aussi victimes d'une belle manipulation par la nouvelle nurse. Tout comme le public ne comprendra pas le but de ces spectacles d'apparence frivoles avant la fin.


Dès le moment où elle entre en scène (non sans avoir gentiment éjecter à l'aide d'une bourrasque les prétendantes comme si de rien n'était), Mary Poppins chipe à Mr. Banks son titre de maître du jeu et exécute son plan. Mêlant ses leçons de bonne conduite entre deux phrases, elle active le manège et enchaîne les attractions pittoresques en ne faisant jamais revenir deux fois les personnages et éléments excentriques, tous apparaissent et disparaissent une fois leur mission accomplie, enseigner aux bambins diverses valeurs.


La nounou leur apprend un mot quasi-imprononçable susceptible d'apporter courage et bonne humeur, les fait assister à une crise de fous rires, les encourage à faire preuve de charité envers les plus démunis et les barbouille sans qu'ils n'y voient de honte à cela. Toute cette mise en scène pour qu'ils les transmettent finalement à leur paternel, la vraie cible de Mary Poppins, qui passera l'épreuve devant ses supérieurs. Ceux-ci le déshonorent en défaisant son chapeau, son parapluie et sa fleur mais il y est préparé, ressort le mot-clé, raconte la blague et fait don du seul argent qu'il a en poche pour enfin réparer ce qui déclencha le bouleversement de son quotidien, le cerf-volant.


Même quand elle n'est pas présente, Mary Poppins continue à bouger ses pions, faisant tout pour que le père se retrouve en bas de l'échelle et sachant utiliser ses meilleurs instruments. Bert sera comme par hasard le vendeur de cerf-volants qui accueillera le voisinage pour le grand rassemblement (auquel les banquiers participeront), il sera évidemment dans le même lieu que les enfants pour leur faire la morale après avoir pris la fuite, situation voulue par la gouvernante, il est le grand gamin qui vit de petits boulots au jour le jour et le confident idéal contrairement à Mr. Dawes Sr., vieille momie sans compassion tenant sur des cotons-tiges et pouvant s'écrouler au premier faux mouvement, tout ce que Banks aspire à être, n'y voyant que l'image publique.


Walt Disney a entre les mains une des œuvres les plus populaires de la littérature jeunesse et, bon éducateur de la nation qu'il est, présente sa vision de la cellule familiale parfaite, un modèle patriarcal symbole de réussite professionnelle et à l'écoute des "héritiers de son empire", une mère active et progressiste, des petites têtes blondes prêtes à entrer dans le monde des adultes etc... Il parle à travers son personnage principal, rit au nez de ses éternels éreinteurs en sortant pingouins qui parlent, caricature des financiers et chansons toutes les cinq minutes. Mais au-delà de son côté revanchard, il veut profiter du fait que ça soit sa superproduction la plus ambitieuse jamais faite pour résumer tout son art.


Il reprend des têtes connues (Ed Wynn, Matthew Garber, Karen Dotrice...), des collaborateurs fidèles (Robert Stevenson, Les Frères Sherman...), mélange pour la énième fois de sa carrière animation et prises de vues réelles, veut renouer avec l'aspect instructif de Blanche-Neige et les Sept Nains, insuffler un positivisme typique de l'ère de prospérité vécue par sa compagnie et n'a pas peur d'être ridicule ou bon enfant. Il sait comment donner du second degré et du caractère à l'ensemble.


On peut se remémorer ce passage déroutant au premier abord où, pendant 5 minutes, nos personnages rient à pleins poumons sans se demander une seconde quelle est la cause de leur esclaffement, cette escapade dans un dessin où un cavalier et sa monture ont sans raison la même distinction, ces débats chantés génialement écrits coupés par des interruptions ou des remarques sarcastiques, ce refus de Mary Poppins de reconnaître les événements produits durant la journée, ne voulant pas être complice, s'attacher et obligeant les chérubins à garder leurs souvenirs pour eux, cet harcèlement des membres de la Fidelity Fiduciary Bank qui plaquent le frère et sa sœur au mur et tant d'instants savoureux à n'en plus finir.


Puis vient cette séquence. Ce moment fabuleux où, après avoir fait fuir les importuns de son domicile et reçu un coup de fil de sa hiérarchie, Mr. Banks fait fi de toute barrière sociale et de sa fierté personnelle pour converser avec son parfait contraire. Il franchit le pas le plus important, accepte le dialogue, lui qui incarne le pragmatisme et l'encadrement abandonne ses principes pour recevoir des conseils de son opposé, sans abri, sans emploi fixe et sans avenir. Le clou est enfoncé avec l'arrivée de ses enfants qui lui déposent les deux pences dans sa main, faisant de lui le plus pauvre dans cette affaire. Après quoi, il s'en ira vers son travail, la caméra le suivra pour la première fois durant sa longue marche et le verra passer par les lieux les plus importants du film, l'entrée du parc, la ruelle où réside l'Oncle Albert, la Cathédrale et enfin la Banque, comme si toutes les idées qu'on lui avait soufflé durant les deux heures traçaient leur chemin jusqu'à ses pensées. Pour qu'arrive le déclic tant attendu.


Mary Poppins contient tous les signes d'une synthèse dédiée à la filmographie de Walt Disney. D'une bonne humeur contagieuse et d'une spontanéité presque hors-norme, il schématise toutes les années d'expérience acquises au sein des studios aux grandes oreilles, offrant un énorme divertissement débordant d'énergie, d'humour, d'entrain, de beauté et marqué pour toujours par la patte d'un géant de l'entertainment dont la magie n'a jamais cessé d'opérer.

Walter-Mouse
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le 8 déc. 2018

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Walter-Mouse

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