Commençons par la base. Il ne faut pas confondre "humour vulgaire" et "humour facile".
Toute la question est : parle-t-on d'un thème humoristique vulgaire, ou bien d'une technique humoristique vulgaire ?
Prenons un excellent gag du film : Ted s'est coincé la bite dans sa braguette. Thème éminemment vulgaire. Des personnages toujours plus nombreux dans la pièce viennent lui apporter une aide non sollicitée, mais n'arrivent pas à trouver la solution, et passent plus de temps à se demander comment le testicule a bien pu se retrouver au-dessus du pénis. La situation est triviale, mais l'angle est malin, la technique humoristique n'est pas vulgaire.
Prenons l'inverse : faisons un gag sur un thème dit intelligent ou profond. Au hasard, la physique quantique. J'ai le souvenir d'Alexandre Astier dans son spectacle "Exo-conférence" passant trois minutes à se moquer de la tête de physiciens laids. Ça vole bas, malgré des atours raffinés. Le thème a l'air intelligent, mais le procédé est simpliste.
Voilà toute la nuance qu'il faut avoir en tête pour ne pas céder à la pression sociale pseudo-intellectuelle contraignant certains à se retenir de rire devant des gags impliquant des vieux nichons, des morsures aux couilles ou du sperme dans les cheveux.
Beaucoup de gens pétris de préjugés ont une répulsion épidermique pour le grossier. Ils s'en tiennent au signal tel des chiens de Pavlov : grossier, caca, pas bien. Difficile pour eux de passer outre ce mur illusoire pour repérer ce qu'il y a derrière.
Comme beaucoup d'auteurs américains - citons Judd Apatow, Kevin Smith, Louis CK, les ZAZ, Trey Parker et Matt Stone -, les frères Farelly ont la compétence rare de manier la grossièreté avec astuce. Exercice très périlleux rarement réussi.
Par ailleurs, c'est une capacité presque exclusivement américaine. Quand les Anglais ou les Français s'y essaient, c'est généralement très mauvais, parce que leur sensibilité culturelle ne se situe pas là. Les États-Unis, c'est le pays des profanes, de la sous-culture, du populaire, et il y a du génie qui peut en résulter.
Mary à tout prix en est un des meilleurs exemples. L'histoire classique d'un amour impossible entre un brave loser et la fille belle, gentille et populaire du lycée devenue chirurgienne à Miami prend place dans une vision socialement chaotique et grotesque du monde. Le film s'amuse sans concession de la cruauté de l'adolescence, de la compétition masculine, de la misère sexuelle... Nous présentant un monde bas et rempli de mensonges abritant une galerie de personnages épouvantablement ridicules (Matt Dillon, fabuleux), entre pervers sexuels et tueurs en série.
Au milieu de ce freak show, la relation entre Ted et Mary apparaît d'autant plus belle et pure, et son issue n'en est que plus satisfaisante. On ressent une vraie tendresse pour le personnage de Ben Stiller, aspirant écrivain (avatar probable des Farelly) qui semblait condamné à l'échec affectif, alors que même le sixième sens du frère de Mary perçoit toute la bonté qu'il y a en lui.
Argument supplémentaire à répondre au procès en vulgarité intenté à ce film par ceux qui manquent d'indépendance d'esprit : qui comprend d'avantage la valeur du beau, que ceux qui connaissent si bien le laid ?