Cynisme et tendresse sont les deux mots qui président à Metropolitan. Etrange oxymore sur laquelle repose une comédie de mœurs d’une intelligence et d’une finesse rares. Ici, nul réquisitoire acerbe, nulle accusation rancunière. A l’image d’un Platonov moderne, on ne fait que laisser voir la vanité de situations sociales trop codifiées, mais sans forcer le trait, sans montrer du doigt, par le biais de personnages simultanément crédibles et théâtraux qui deviennent, par là même, attachants.
You know the French film, "The Discreet Charm of the Bourgeoisie?" When I first heard that title I thought... "Finally, someone's gonna tell the truth about the bourgeoisie." What a disappointment. It would be hard to imagine a less fair or accurate portrait.
C’est une critique qui n’en est pas vraiment une, qui ressemble plus à l’autodérision que l’on utilise pour se prémunir de l’attaque d’autrui, à la fois amusée et compatissante. Il y a une honnêteté dans ce film qui ne se cache pas d’une certaine admiration. Plus que tout, c’est cela qui le distingue des brûlots plein d’amertume que l’on a coutume d’adresser aux plus fortunés que nous, Le Charme Discret de la Bourgeoisie de Buñuel en tête, dont j’ai vivement regretté la grossièreté. Lorsque j’essaie de décrire Metropolitan, me vient souvent une référence à Woody Allen. On y trouve, après tout, la même obsession pour la futilité ludique des rapports sociaux et le vide intérieur des vies richement décorées. Pourtant, Allen, que ce soit dans Alice ou Blue Jasmine, se sert de l’excès comme d’un ressort comique ou dramatique, toujours au détriment de ses personnages. Whit Stillman, lui, semble les regarder avec la même indulgence que l’on a pour les orgueils d’enfants.
I'm not sure if you realize this, but these girls are at a very vulnerable point in their lives. […] Preppy girls mature socially much later than others do. For many of them, this is the first serious social life they've had...
Des enfants orgueilleux. C’est cela que les personnages de Metropolitan. Policés, éduqués certes, mais comme des oiseaux qui sortent de leur cage pour la première fois. Ce sont ces jeunes filles naïves, celles qui n’ont pas grandi parce que trop protégées. Leur vie, jusqu’alors, n’a été qu’une longue répétition de postures et de situations sociales codifiées. Alors qu’elles sont présentées au monde pour la première fois en cette saison des débutantes, elles ne peuvent que faire face à la fragilité de leur expérience, à moins qu’elles ne fassent partie des plus effrontées qui n’ont pas attendu qu’on leur donne l’autorisation de vivre. Celles-là se jouent de la réputation qui les accompagne car elles savent que, comme le reste, il ne s’agit que d’un jeu.
- You're a Marxist?
- No, I'm a committed socialist, not a Marxist. I favor the socialist model developed by the 19th-century French social critic Fourier.
[…]
- Good luck with your Fourierism.
- Thank you.
Les garçons, néanmoins, ne sont pas en meilleure posture : ils savent tout des livres et rien de la vie. Cocasse connaissance qui n’est que théorique, qui n’a pas été mise à l’épreuve de l’existence. Leurs positions politiques ne sont guère qu’une construction intellectuelle, déconnectée de leur réalité et de leur époque. Ils affectent, en toute honnêteté, de se préoccuper du destin d’un monde qui reste entièrement dissocié du leur, séduits sans doute par l’idée de leur propre grandeur d’âme. Occupés à théoriser sur tout, du sujet le plus trivial au plus grandiloquent, ils sont à ce point crispés dans leurs illusions, passés maître dans l’auto-persuasion qu’ils semblent n’avoir pour unique objectif que de retomber sur leurs pattes pour éviter la contradiction.
Rick Von Sloneker is tall, rich, good-looking, stupid, dishonest, conceited... a bully, liar, drunk and thief… an egomaniac and probably psychotic. In short, highly attractive to women.
Ainsi sont définies les pièces de ce vaste jeu d’échecs. Il ne reste qu’à mélanger, et voir ce qui ressort de ce monde clos dont les égos et émotions n’ont pas encore été durcis par les épreuves : jalousies, orgueils blessés, déceptions, maladresses. Beaucoup de maladresses. Chacun s’est affublé d’un rôle qu’il joue à la perfection. Tom, qui feint le rejet de ce monde mais n’aspire qu’à y prendre part. Audrey, qui se flatte d’une naïveté et d’une sensiblerie à toute épreuve. Charlie, qui se donne des postures de philosophe et cherche le débat dans les moindres recoins de la conversation. Sally, séductrice, qui sait tirer les ficelles pour modifier les rapports au sein du groupe. Nick, enfin, qui badine en se donnant des airs délurés et cyniques, mais qui maîtrise fort bien la politique de ses relations (il sait notamment renforcer sa position au sein du groupe en intégrant des outsiders - Tom en l’occurrence- qui lui seront de fait redevables). Ne peut-on pas retrouver ces cinq-là dans n’importe quel groupe d’amis ?
- Do you think it's true, though, that, generally speaking... people from this sort of background are doomed to failure?
- Doomed? That would, uh, be far easier. No, we simply fail without being doomed.
Quelle différence fondamentalement existe-t-il, d’ailleurs, entre ces bourgeois guindés qui se rassemblent pour des jeux de cartes et des débats philosophiques dans les riches appartements de leurs parents endormis, et les jeunes de banlieue qui boivent des canettes de bière la nuit sur les parkings et dans les parcs publics (je force ici le trait, mais après tout je l’ai bien fait…) ? Le cadre bourgeois prête à une théâtralisation exagérée des rapports sociaux, mais on retrouve les mêmes ragots, les mêmes préoccupations qu’ailleurs. Peut-être les moins fortunés ont-ils peu d’intérêt à disserter sur les cols de chemise amovibles, mais à la racine de Metropolitan, une fois grattée la couche du futile et du démonstratif, on retrouve la même angoisse que partout ailleurs, a fortiori dans des milieux adolescents : la peur de l’avenir, difficilement masquée par l’attrait d’un fatalisme facile, qui les déresponsabiliserait du poids de leur existence.
I'm not destitute. I've got a good job that pays decently. It's just that it's all so mediocre, so unimpressive. The acid test is whether you take any pleasure in responding to the question... "What do you do?" I can't bear it.
Après tout, la réussite est relative car, peu importe combien l’on s’élève, on n’a de cesse de regarder vers le haut. Jetés dans un monde où tout leur prédit la réussite, il y a pour nos jeunes personnages la terreur de ne pas être à la hauteur des espérances que la société a placées en eux, de n’atteindre qu’une réussite médiocre. Ce qui apparaît en filigrane, c’est la conscience d’avoir une main magistrale et de ne pas savoir comment l’abattre. Sans doute est-ce ce qui les pousse à s’enfermer dans ces jeux de rôle creux, à se replier sur leur orgueil, pour ne pas révéler, sous la surface de leur posture sociale, leur manque de confiance en l’avenir. Même l’objet de leur quête reste confus : la réussite financière ? sociale ? le bonheur ? Dans la négation effrontée de leurs échecs et de leurs abandons, ils seront tous confrontés directement, à un moment où à un autre, à la dissolution de leurs illusions. Acculés, non sans résistance, à devoir reconnaître leurs torts et leurs préjugés, ils paraissent quelquefois ridicules, souvent émouvants.
With everything that's going on, this is probably the last deb season as we know it. I don't want to just hang around, watching the decline.
On assiste à un crépuscule. Le crépuscule d’une époque, d’un âge, d’une amitié. Cependant, s’agit-il véritablement d’un crépuscule ? Toutes les générations n’ont-elles pas, tour à tour, pensé vivre le déclin ? Toutes les amitiés ne se sont-elles pas dissolues au fil du temps et des événements ? Là encore, le contexte importe peu, l’histoire est universelle : c’est celle du passage à l’âge adulte. Il n’est plus temps de se chercher des excuses, de s’abriter derrière la tentation de se sentir condamné. Les années de trêve sont terminées, et nos personnages savent qu’ils devront désormais prendre la responsabilité de leur vie. C’est cet instinct la véritable fatalité qui plane au-dessus d’eux, qui les pousse à vouloir acheter encore un peu de temps. Il presse et rend précieuses ces longues nuits d’oisiveté, qui borde Metropolitan de nostalgie plutôt que d’irritation. Au fond, n’est-il pas sincèrement enviable que de pouvoir ne s’occuper à rien et tout remettre en question, sans s’inquiéter du lendemain ?
You go to a party, you meet a group of people, you like them, you think... "These people are going to be my friends for the rest of my life." Then you never see them again. I wonder where they go.
Peut-être s’agissait-il dès le début d’une étoile filante, insaisissable par nature. Une parenthèse, un aparté dans une vie sur laquelle ils ont finalement bien peu de contrôle. Le manque d’expérience, les illusions de la jeunesse, tout cela empêche de voir à quelle vitesse le temps file et le monde va de l’avant, sans qu’on ne puisse rien retenir de ce en quoi l’on croyait l’instant d’avant. Celui qui attend, celui qui reste, ne peut que voir son château d’hier tomber lentement en ruines, comme chacun le délaisse tour à tour, appelé par les vicissitudes de la vie. C’est ainsi que, sans rupture, sans éclat, ne restent plus que Tom et Charlie, seuls sur le rivage. Sans doute n'ont-ils plus qu’à suivre, à leur tour, leur propre chemin, à s’éloigner de cette friche abandonnée dont ils chériront toujours l’âge d’or regretté. Comme un premier amour qui semble être la vie mais ne dure qu’un été ; des années plus tard on s’apercevra qu’il n’y avait là qu’un vague béguin, mais le souvenir restera le plus vif de tous.
- Do you have any idea when everyone's getting back? It's as if the whole S.F.R.P. had disintegrated.
- We can't just keep getting together with the same people every night for the rest of our lives. […] It's inevitable that things get more back to normal sometime.
- This wasn't normal?
- No.
- I wish somebody had told me that before.
[C’est toujours alors que j’ai une petite pensée pour le Vivier, qui me serre le cœur.]