(1972. FR.: Milan calibre 9. ITA.: Milano calibro 9.
Vu en VOST, Blu-Ray Elephant Films)
A peine sorti de prison, Ugo Piazza (Gastone Moschin) se retrouve dans l’œil du cyclone. Entre l’organisation mafieuse de l’Américain (Lionel Stander), son ancien « employeur », qui le soupçonne d’avoir volé 300 000 dollars avant son arrestation, et la police, représentée par les commissaires Mercuri (Luigi Pistilli) et son supérieur (Frank Wolff), qui veut en faire un indic’, Ugo se retrouve harcelé et obligé de reprendre du service pour éponger ses dettes… Seuls Don Vincenzo (Ivo Garrani), un vieux « parrain » affaibli et aveugle, son homme de main Chino (Philippe Leroy) et la « danseuse » Nelly (Barbara Bouchet) semblent pouvoir l’aider…
Après avoir écumé les tournages de westerns, en tant que scénariste (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Navajo Joe, Chacun pour soi, Un pistolet pour Ringo et Le retour de Ringo de Duccio Tessari…), Fernando Di Leo entame sa carrière de réalisateur à la fin des années 1960 avec l’engagé La jeunesse du massacre, ou encore le macaroni-combat Roses rouges pour le Führer puis le giallo Les insatisfaites poupées érotiques. Mais c’est bien avec sa fameuse trilogie du milieu qu’il accomplira ses réalisations les plus percutantes et cultes.
Milano calibro 9 est souvent considéré, à juste titre, comme le sommet de sa filmographie. Bien qu’affilié au genre poliziottesco, ce premier volet, comme les deux autres d’ailleurs, relève plus du film noir que du polar suivant les aventures d’un policier incorruptible comme ce fût régulièrement le cas. Comme le disait Di Leo lui-même : « Des flics comme Fabio Testi, Maurizio Merli ou Franco Nero, ça n’existe pas dans la réalité ! »
Milano nera
Le fils d’avocat, et lui-même étudiant en droit, s’oriente donc vers une vision plus réaliste du polar, lorgnant à bien des égards vers le cinéma de Jean-Pierre Melville et ses anti-héros solitaires perdus dans les méandres de la criminalité. Difficile par exemple de ne pas évoquer Le deuxième souffle, avec Lino Ventura, ou encore Le samouraï, avec Alain Delon, comme références, notamment en ce qui concerne ce personnage de gangster bourru, isolé, impassible tout droit sorti d’une autre époque. Idem pour la peinture des différentes trahisons au sein du milieu, ou du rôle, insignifiant, de la police…
Positionné à gauche, tendance « anar », Di Leo profite de ces polars pour donner sa vision, désenchantée, de l’Italie d’alors. Les flics sont ici soit impuissants, soit droitiers. Les deux commissaires, aux pratiques diamétralement opposées, ne cesseront de s’écharper. L’un considérant « grosso modo » que les criminels naissent ainsi et que pour leur grande majorité sont des « sudistes » et des pauvres. Alors que l’autre ne cesse de rappeler le rôle des élites de ce pays qui obligent les gens de Sud à immigrer dans des conditions détestables et qui, par leurs manœuvres financières douteuses, semblent être des alliés objectifs des gangs mafieux…
En parlant de Mafia, Di Leo ne cessera d’écorner l’image de cette "institution", devenue presque positive depuis la sortie d’un certain Le parrain cette même année 1972. Même s’il ira encore plus loin dans la satire dans les opus suivants, il montre déjà ici, par le biais des personnages de Chino et Don Vincenzo, que les vrais mafieux sont en voie de disparition…remplacés par des gangs avides et capitalistes comme celui de l'Américain :
Bientôt, ils monteront une section anti-mafia à Milan.
- L'anti-mafia à
Milan !? Mais pour quelle mafia Don Vincenzo ?
-Aucune. Pas plus que
dans les autres villes. On parle de mafia, mais ce ne sont que des
gangs, des bandes qui s'entretuent. La vraie mafia n'existe plus.
Quand les dealers veulent placer leur argent, ils construisent des
immeubles. Alors les gangs de l'immobilier les tuent... Où est la
mafia là-dedans ? La vraie mafia est morte.
Au-delà du fond, Milano calibro 9 n’oublie pas d’être un polar percutant malgré un budget famélique et un tournage d’une dizaine de jours… Cela rajoute même du crédit à cette œuvre qui dès son incroyable prologue, que je ne peux m’empêcher de vous proposer ici, donne le ton ! Bien aidé par ses comédiens et une sublime B.O., Di Leo parvient, malgré une action moins présente que sur La mala ordina ou sur Il boss, à maintenir la tension jusqu’à ce superbe twist final où Moschin crut vraiment mourir…les décharges étant un peu trop puissantes, et ce malgré une protection en bois (!) dans le dos !
Un casting de grand calibre
Gastone Moschin, justement, est ici parfait dans ce rôle ingrat de gangster taiseux et mystérieux. Plutôt adepte de comédies (Mes chers amis, Don Camillo), il retrouvera l’univers mafieux en campant un excellent Don Fanucci, « la mano nera », dans Le parrain 2 quelques années plus tard. Face à lui se dresse une belle brochette de salauds, avec en tête un Mario Adorf, comme toujours impressionnant et totalement impliqué dans son personnage d’homme de main dévoué quasi hystérique. Il est à noter que la scène finale où il frappe le pauvre Salvatore Arico a été amputée de moitié par les censeurs d’alors. Quand on voit le résultat final, on se dit que la scène devait être effectivement traumatisante !
Parmi les autres membres du casting, comment ne pas mentionner Barbara Bouchet qui fera monter la température lors d’une scène de danse « so sexy ». D’ailleurs, le producteur Armando Novelli, très opportuniste pour le coup, n’avait pas hésité à diffuser des images du tournage de cette scène, histoire de faire monter la sauce…si je puis dire ! L’actrice belge a en tout cas, et pour une fois, un rôle assez conséquent et plutôt ambigu. On appréciera aussi de revoir les trognes d’adeptes du western spaghetti comme Frank Wolff, Luigi Pistilli ou encore Mario Novelli (2 croix pour un implacable). Enfin mention spéciale à l’excellent Philippe Leroy en tueur à gages d’une autre époque, une sorte d’ange vengeur. Peut-être l’unique personnage positif de ce film ô combien sombre sur l’espèce humaine…
Enfin, cerise sur le gâteau, la musique de ce premier opus est tout simplement formidable ! Composée par Luis Bacalov, et surtout jouée par le groupe de rock progressif italien Osanna, elle habille à la perfection ce poliziottesco mythique que je ne peux que vous conseiller de voir !
La B.O. : https://www.youtube.com/watch?v=iTZCISGSWTw&list=PLn6IUYFGu6PI6Cbc_rmS49HktKo1tsYpX
La critique du coffret Blu-Ray : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6142
La critique de La mala ordina (2ème volet de la trilogie) : https://www.senscritique.com/film/L_empire_du_crime/critique/227456736
La critique d’Il boss (3ème volet) : https://www.senscritique.com/film/Le_Boss/critique/227456722