Mourir d'aimer par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Transportons-nous à Rouen dans une histoire d'amour impossible durant la fameuse période troublée de mai 1968.
Danièle Guénot exerce consciencieusement son métier de "professeure de lettres" dans un lycée sans histoire mais sa vie est déjà bien mouvementée. A 32 ans elle est divorcée et maman de 2 enfants.
Enseignante très militante elle revendique ses idées novatrices sur la société en organisant régulièrement des débats constructifs avec ses élèves.
L'un d'entre-eux se distingue, il s'agit de Gérard Leguen. Agé de 17 ans il tombe amoureux fou de Danièle qui succombe au sentiment de son élève. Tous deux entretiennent une relation et tentent de concrétiser cet "amour impossible". Les parents de Gérard n'entendent pas laisser leur fils mineur finaliser avec une femme de 32 ans cette passion qu'ils jugent scandaleuse. Ceux-ci portent plainte et le couple se trouve pris dans un tourmente désespérée...


Maintenant transportons-nous sur le sujet abordé dans cette œuvre car en fait le réalisateur André Cayatte a transposé à Rouen ce drame qui s'est réellement déroulé à Marseille et dont la malheureuse héroïne se nommait Gabrielle Russier tombée sous le charme de Christian Rossi.
Une simple dépêche de quelques lignes apparaît dans les journaux au lendemain du 1er septembre1969 annonçant le suicide de cette enseignante qui vivait un véritable roman d'amour avec l'un de ses élèves encore mineur. Pourtant la nouvelle si discrètement annoncée provoque des répercutions inattendues à tel point que beaucoup de citoyens sont émus et révoltés par la justice de notre pays.


Je vais vous rappeler le fond de cette merveilleuse aventure qui peu à peu a ravagé deux êtres épris l'un de l'autre, épris de liberté et ne demandant rien d'autre que de vivre leur passion tout simplement.
Durant ces années-là le Général De Gaulle était au pouvoir et il faut bien avouer qu'il était difficile de trouver une société aussi moraliste et à cheval sur les traditions, à l'image du gouvernement.
Gabrielle Russier était devenue enseignante après avoir passé de nombreux concours avec succès. Elle était faite pour cette profession. Jeune et dynamique elle avait des idées très novatrices dans sa manière d'enseigner, laissant ses élèves s'exprimer, alimentant des débats toujours très appréciés sur des sujets parfois proches de leurs préoccupations. Par son physique un peu de "garçonne", son enthousiasme et sa bonne humeur, beaucoup d'élèves à la rentrée eurent du mal à la prendre pour leur professeure. Le courant passait immédiatement autant avec les lycéens qu'avec ses collègues.


C'est vrai que Gabrielle "dynamise" tout ce petit monde et surtout Christian du haut de ses presque 18 ans. Le jeune homme est subjugué par sa prof qui vient le chercher pour l'emmener aux manifestations avec l'espoir de plus de liberté, d'émancipation, de meilleures conditions de travail. La société est sclérosée et cet élan qui secoue la France suscite un immense espoir. Les parents de Christian ne s'opposent pas à voir leur fils défiler dans la rue afin de transformer la société. Le père, lui aussi professeur, est de leur côté par ses idées politiques et la mère n'y voit rien à redire.


Malheureusement le raisonnement des parent n'est plus le même lorsqu'ils apprennent que la liaison de leur fils va au-delà des revendications politiques scandées dans la rue. Ils alertent la direction du lycée. Malgré les avertissements pour l'un et les menaces et sarcasmes pour l'autre les liaisons se poursuivent dans des lieux hasardeux. Le tout est de se voir, de s'étreindre et de se rassurer face aux incessantes menaces. Finalement les parents saisissent la justice et Gabrielle écope de quelques jours de prison puis à une peine plus longue pour n'avoir pas déclaré où se trouvait le jeune homme. Christian quant à lui est placé par ses parents dans une clinique psychiatrique d'où il parvient à s'échapper. En 1969, après quelques courts moments furtifs ensemble Gabrielle est à nouveau condamnée à un an de prison et à une amende.
Juste auparavant Georges Pompidou accède au pouvoir et de ce fait la peine de prison doit être amnistiée mais là, le parquet fait appel et le rêve de la jeune femme s'évanouit. Pour elle c'est la fin du monde, à la veille de la rentrée scolaire elle se suicide par le gaz. C'était le 1er septembre 1969. Le "cimetière du Père Lachaise" sera sa dernière demeure loin des tracas mais bien loin également de son Christian.


C'est avec une remarquable conviction qu' André Cayatte, avocat avant de devenir réalisateur, traite cette histoire d'amour fou avec un doigté extraordinaire. Il ne cherche pas à faire pleurer car le discours est limpide, intelligent, beau et dur à la fois. Il y a là l'exacte description de deux choses primordiales dans cette œuvre.
La première c'est le climat de l'époque avec ses interdits, ses censures, ses a priori et cette morale surannée. Si ces réactions persistent encore malheureusement, il est certain qu'actuellement nous n'en arriverions pas à ce genre de désastre.
La seconde concerne la politique vécue à cette époque et je pense que là le vrai changement tarde à se faire sentir chez certains. Ici le réalisateur évoque fort bien ceux qui se disaient "communistes", souvent encartés dans ces années-là. Ils se battaient pour une liberté qu'ils avaient beaucoup de mal à traduire puisque eux-mêmes étaient parfois pris par l'étroitesse de leur l'idéologie. La preuve dans cette histoire: les protagonistes sont tous des "rouges" mais certains font du surplace alors que d'autres avancent d'où une opposition énorme qui mène au désastre.
En 1968 nous luttions pour un même avenir et pourtant nous étions en ordre dispersé. Gabrielle Russier a été la victime de l'acharnement de certains qui se disaient apôtres des libertés mais qui en fait ne joignaient pas toujours leurs actes à leurs idées.


L'interprétation est absolument éblouissante et Annie Girardot tient peut-être ici l'un de ses plus beaux rôles, un rôle militant, tout en sensibilité, dans lequel elle montre les conséquences de la rigidité mais aussi les faiblesses de la société qui l'entoure. Elle montre également qu'une femme divorcée avec des enfants, à cette époque, n'avait pas le droit à une "seconde vie".
Dans le rôle de Christian, Bruno Pradal est également époustouflant. Il respire son personnage lui aussi victime d'une pression insoutenable mais tellement fort pour tenter de vivre la vie dont il rêvait avec Gabrielle.


A l'époque le pouvoir a voulu faire passer cette affaire en catimini mais cette histoire était tellement injuste et cruelle qu'un bon nombre d'artistes s'est attaché à ce drame pour défendre le droit à ne pas mourir d'aimer.


Voici les mots de Christian en 1971 lors d'une interview sur ce douloureux souvenir:


""Les (deux ans) de souvenirs qu'elle m'a laissés, elle me les a laissés à moi, je n'ai pas à les raconter. Je les sens. Je les ai vécus, moi seul. Le reste, les gens le savent : c'est une femme qui s'appelait Gabrielle Russier. On s'aimait, on l'a mise en prison, elle s'est tuée. C'est simple."


Il y a également ce très beau texte de Serge Reggiani qui rend un très bel hommage dans "Gabrielle" et en voici quelques vers:


                    *Qui a tendu la main à Gabrielle
Lorsque les loups, se sont jetés sur elle ?
Pour la punir d’avoir aimé l’amour
En quel pays, vivons nous aujourd’hui
Pour qu’une rose soit mêlée aux orties
Sans un regard, et sans un geste ami ?*

Et puis Charles Aznavour: "Mourir d'aimer":
https://www.youtube.com/watch?v=5gr2IuNqlHI


Box-Office France: 5 922 404 entrées


Ma note: 9/10

Créée

le 6 mai 2021

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