Monsieur Smith au Sénat est ce qu’on peut appeler un film engagé. Le réalisateur, Frank Capra, a tout de même osé s’attaquer de manière frontal au sénat américain en mettant en doute son intégrité et ce en temps de guerre (même si les États-Unis ne sont pas encore dans le conflit). La réaction de la classe politique ne se fit pas attendre avec une tentative d’interdiction du film qui se solda, heureusement, par un échec. Pour la petite histoire, Monsieur Smith au Sénat fut le dernier film américain/anglais à être projeté en France avant les restrictions imposées par Vichy.
La vie de Jefferson Smith bascule lorsque celui-ci est désigné sénateur par le gouverneur de son État. Cette nomination, dirigée en sous-main par un homme d’affaire véreux, Jim Taylor, n’a d’autre but que de placer une future marionnette de plus au sénat, gangréné par la corruption. Plein de nobles intentions, Smith dépose dès son arrivée un projet de loi visant à créer un camp pour la jeunesse afin de faire découvrir aux citadins la campagne tout en leur inculquant les valeurs américaines. Comble de l’ironie, le lieu choisi pour la construction du camp est situé pile sur l’emplacement d’un futur barrage qui devait rapporter beaucoup d’argent à Taylor. Celui-ci, aidé de ses sbires, va tout faire pour discréditer Smith et faire capoter son projet.
Comme souvent avec Capra, le film est empreint d’une poignante sensibilité. Le choix de l’acteur n’est pas anodin car Capra choisit James Stewart avec qui il avait déjà collaboré sur le film précédent du réalisateur, Vous ne l'emporterez pas avec vous. L’acteur, qui interprète Jefferson Smith, possède ce don particulier de dégager une candeur donnant une envergure très humaniste à son personnage. Son côté timide ainsi que sa voix douce et posée ne laissent en rien présager de sa volonté de fer et de son énergie débordante. Smith est épaulé, mais surtout coaché, dans son combat par la délicieuse Saunders (comme le décrit si justement l'ami Kalopani). Interprétée par la pétillante Jean Arthur, l'actrice incarne parfaitement cette femme intelligente et indépendante.
Le décor est également impressionnant. Réplique du sénat construite pour l’occasion, le lieu est un élément clef de la mise en scène. Filmant habilement sous différents angles l’honorable assemblée, Capra utilise l’espace avec intelligence pour le mettre au service du combat de Smith.
Pointant du doigt la manipulation de la masse par les riches à travers le système politique et médiatique, Monsieur Smith au Sénat nous met face aux vieux démons de nos démocraties. Des démons que visiblement nous n’avons pas encore réussi à exorciser 80 ans plus tard.
Outre un excellent jeu d’acteur et une mise en scène soignée, le film est à voir pour sa passionnante histoire. Une histoire qui lui vaudra d’ailleurs l’Oscar de la meilleure histoire originale.