C'est un Kore-eda relativement jeune et se cherchant encore qui tourne en 2004 Nobody Knows, film dans lequel on retrouve déjà son grand thème de prédilection, dans la veine de son aîné Ozu: la famille. Et comme dans Tel père, tel fils (mais avec nettement moins de maîtrise), Après la tempête ou indirectement The Third Murder, celle-ci se révèle source de conflits puisqu'elle ne joue pas son rôle de socle social permettant l'épanouissement de ses membres, mais au contraire, d'origine modeste (voire très modeste), elle tend plutôt à les emprisonner et à les empêcher d'exister.
En effet, la fratrie de quatre enfants se retrouvent délaissés par leur mère un brin folle et totalement irresponsable, qui, par crainte de plaintes de voisins puis de l'intervention des services sociaux, les oblige à rester enfermés dans leur appartement. Si les faits (inspirés d'une histoire vraie) rapprochent le film du drame social, il n'en est cependant rien grâce au talent de Kore-eda qui évite intelligemment tous les poncifs du genre. Comment? Grâce à la B.O., enjouée quoique un brin fataliste; aux personnages des enfants, espiègles, rieurs, rêveurs et jamais plaintifs malgré l'horrible situation qui leur tombe dessus; et surtout à son talent de cinéaste qui a l'humilité de se mettre à hauteur d'enfant, suivant leur regard, et non celui plus sévère des adultes.
Sans aucun pathos mais avec une certaine poésie, Kore-eda filme donc les intérieurs, les poupées et autres jouets d'enfants, leurs petits pieds qui se mettent sur leur pointe pour atteindre quelque chose, les parcs, la foule anonyme et indifférente et surtout les valises – accessoire à la forte symbolique (arrivée puis départ), à relier à la terre (pour les plantes qui suggèrent les ellipses, et la scène finale de l'aéroport) - comme un monde merveilleux mais fragile que la tragédie ne cesse de menacer.