Lost Highway
L’écriture peut être une arme redoutable dans la construction machiavélique d’une vengeance. Il est vrai que le pouvoir de la plume a cette manie de faire resurgir en chacun de nous les pires...
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le 14 janv. 2017
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En ce mois de janvier 2017, bien des films sortis sont intéressants. On pense évidemment à Live by Night (le nouveau Ben Affleck), à La Grande Muraille ou au succès-critique Quelques minutes après minuit. Difficile, peut être, pour Nocturnal Animals de s'imposer. Et pourtant...
Nocturnal Animals commence dans une séquence d'ouverture étrange, fantastique, à la fois rebutante et intrigante, mais néanmoins provoquante. Tom Ford commence son film d'une manière particulière mais particulièrement bien choisie. Car qu'y-a-t-il de mieux pour dénoncer les femmes qui se cachent derrière leur maquillage et leurs habits que cette scène ? Et n'est-elle pas justement un moyen direct de critiquer le personnage principal, Susan ?
Tom Ford, pour son second métrage, s'attelle à un projet ambitieux, puisqu'il mélange fiction et réalité, proposant ainsi de toujours plus nombreux parallèles intéressants et d'analogismes. Ce qu'il y a fascinant, c'est que l'intrigue première (celle de la réalité) est peu intéressante, du moins bien moins que l'histoire racontée au travers du roman d'Edward. Néanmoins, il est juste de noter la construction des personnages au fur et à mesure que l'intrigue s'étoffe. Le personnage incarné par Amy Adams est un personnage complexe, une figure féministe à la fois forte et fragile, qui se perd dans ses sentiments et dans son apparence désabusée. Là où certains critiquent (injustement) la misogynie du métrage (qui montre que Susan est perdue sans l'homme, et qui montre sa faiblesse émotive), je n'y vois moi qu'une complexité incroyable et une finesse d'écriture impressionnante. Car si le jeu d'Amy Adams est hélas assez transparent et froid, son rôle est lui très bien écrit et on se plaît à découvrir, avec elle, le roman de son ex-mari Edward.
Et l'idée du roman est ingénieuse. Edward s'en sert comme moyen de vengeance après ce qu'il a subit, et il arrive à faire perdre pieds Susan. Le côté tragique de son roman y est pour quelque chose. Et ce côté tragique est amplifié grâce à une réalisation très belle, féroce et dynamique, qui force le respect. D'autant que la photographie est très belle (les paysages déserts du Texas y sont pour beaucoup) et que la musique dirigée par un **Abel Korzeniowski* survolté résonne dans la tête tout au long des passages les plus riches en émotions. Si vous ne me croyez pas, écoutez donc cela et imaginez une folle scène de voitures. D'ailleurs, cette scène (la première du roman) est pour moi la pièce maîtresse du film. Là où tout déraille. Et cette scène est énormément symbolique, en plus d'être magnifiquement bien réalisée, jouant sur un suspens présent de bout en bout.
On peut avoir peur que Nocturnal Animals ait des erreurs ou des maladresses de montage. A force de passer de la réalité à la fiction et de la fiction à la réalité, du passé au présent et du présent au passé, cela peut clairement déstabiliser le spectateur. Mais justement, c'est fait pour cela, et cela permet de distiller encore plus le suspens du métrage. Niveau surprises, on a en a une très grande, et elle réside dans la force attractive et mystérieuse de la bande originale. En revanche, ce qui est certain c'est qu'on ne peut reprocher au film sa mise en scène et son style visuel, tant il est riche. Bien des scènes sont belles visuellement, en plus d'êtres fortes psychologiquement. De ce point de vue là, il est évident que Nocturnal Animals n'est pas un film tout public, comme le laisse présager la diffusion du film en France, mais bien un film viscéral, violent et parfois vraiment déstabilisant.
Parce qu'on sait pertinemment que sa femme et sa fille (celles de Tony) vont se faire violer. On sait que ça va mal se passer, et que Tony va réclamer vengeance. Mais pourtant à aucun moment le film ennuie, dans la mesure où il maintient un suspens constant avec ces décalages temporels et fiction-réalité et son impressionnant paralogisme avec la réalité.
Nocturnal Animals peut peut-être décevoir dans son fond. Pour un spectateur lambda, qui ne cherche pas forcément à réfléchir (longuement ou non) après une séance, le film peut paraître vide (de sens et de propos). Pourtant, quand on souhaite chercher des réponses, on les obtient et on trouve des intéressants parallèles et des symboliques entre l'œuvre et la réalité qui montrent à quel point le film est réfléchi et intelligent. Toutefois, le film aurait sûrement pu aller encore plus loin dans ces parallèles, dans la force de la vengeance d'Edward et dans l'élaboration de la relation Susan – Edward (quelques scènes auraient mérités d'être plus approfondies afin d'obtenir une meilleure compréhension des motivations).
Niveau casting, on est servi. Amy Adams est peut être un peu trop transparente, mais elle reste une bonne actrice bénéficiant d'un charisme important. Jake Gyllenhaal, comme à son habitude, nous livre une prestation très belle, pas sa meilleure mais très réussie. Côté personnages secondaires, on note les belles prestations de Michael Shannon (un des plus grands acteurs de tous les temps) et d'Isla Fisher. Notons aussi un redoutable Aaron Taylor Johnson, récompensé pour son rôle aux Golden Globe.
Nocturnal Animals est un film mystique au pays de l'imaginaire, qui se plaît à nous séduire dans une atmosphère étouffante et d'une grande beauté visuelle et à nous perdre dans une labyrinthe de symboliques qui permettent au scénario, qui au premier abord peut paraître plat, de s'élever et de permettre au film d'intéresser et de jamais ennuyer. Reste à parfaire le film, qui à l'image d'un Neon Demon, souffre légèrement d'une faiblesse dans son histoire et dans son petit manque de risques qui hélas partait sur une originalité déconcertante.
Avis à la populace n'ayant pas vu le film, passez votre chemin, ça va spoiler à fond.
Mais d'abord... Musique!
Beaucoup beaucoup beaucoup de métaphores et de symbolismes peuvent être dégagés dans ce film. Mais au fur et à mesure que j'y repense, j'en ai un qui me trotte dans la tête, qui me hante et m'obsède. Une simple chose qui peut peut-être expliquer bien des choses.
Ma théorie est la suivante : Et si Ray Marcus (à savoir Aaron Taylor-Johson) était en fait Susan (Amy Adams) ?
Ça peut paraître fou. Vous vous dîtes : comment un jeune homme n'ayant aucun rapport avec Susan peut-il la représenter, alors que tout semble les opposer ?
Eh bien, en réalité, il y a bien plus de points communs que vous ne le pensiez.
Tout d'abord, projetons nous dans la première scène tirée du roman. J'en ai parlé plus haut, c'est celle où Tony, sa femme et sa fille
sont sur la route dans leur voiture et que soudainement une autre
voiture les prend en chasse et les harcèle (avec comme conducteur
Aaron Taylor-Johnson). Au-delà du simple et impressionnant suspens
établi, on peut y voir une sorte de symbolisme : Tony (et donc
Edward) et sa famille (Susan et la fille qu'il a eu / aurait du avoir
dans la réalité) sont sur une route de bonheur. Ils sont ensembles,
leur avenir semble défini et sûr (d'où la route droite qui ne semble
jamais finir). Tout est comme si la famille ne pouvait se séparer. Et
soudain arrive Ray Marcus qui les poursuit et qui finalement les sort
de la route. Et là, c'est fort en symbolique. Ray les sort de la
route voudrait dire qu'il les sort du chemin et de l'avenir établi,
qu'il brise la vie familiale de Tony (Edward). Et dans les scènes du
passe, Susan l'a blessé. Elle l'a blessé parce qu'elle ne croyait pas
en lui et qu'elle était une femme de caractère qui ne pouvait pas
resté avec un type "faible" (retenez ce mot, j'y reviendrai plus
tard). Ainsi, Ray Marcus représente la virilité de Susan, cette force
et ce caractère qu'elle a en elle, et qui la pousse sans raisons
apparentes à détruire leur couple. C'est elle qui soudainement brise
l'avenir heureux qu'ils auraient pu avoir. Et tout cela est
représenté par Ray qui arrête leur voiture...
-De plus, au cours du film, on apprend qu'Edward qualifiait Susan d'animal nocturne. C'est quand même le titre du film, donc vous vous
doutez bien qu'il y a quelque chose d'intéressant avec ce terme. Eh
bien, on peut aussi dire que le personnage de Ray est un animal
nocturne, dans le sens où il se comporte comme une bête (au niveau du
viol et du caractère du personnage) et il confronte Tony et sa
famille de nuit. Ce qui renforce donc notre lien Susan / Ray, tous
les deux étant des animaux nocturnes.
-Ensuite, dans la réalité, Susan avorte et donc "tue" son enfant dont le père est Edward. Cet enfant, à peine né, est tué par la force et
la caractère de Susan qui ont causé la rupture du couple. Et
étonnamment, dans le roman d'Edward, Ray Marcus viole leur fille et
la tue. Ici encore, le parallèle est évident : Susan est responsable
directement de la mort de leur fille. Au-delà du "simple" avortement,
mais par sa personnalité qui a tout fichu en l'air.
-Lors de la même scène où l'on apprend que sa fille est morte, la femme de Tony est elle aussi retrouvée morte (et nue). Ce qui
correspond parfaitement au fait que la Susan de caractère a dominé
l'autre Susan amoureuse d'Edward au point de la tuer, de l'étouffer
et de détruire cette personnalité. Cela montre à quel point Susan
n'est plus amoureuse d'Edward, qu'elle est passée à autre chose et
que celle qui aimait Edward est morte. Intelligent, quand on y pense,
non ?
-Mais ce n'est pas tout! Ray Marcus veut (évidemment) cacher l'acte odieux qu'il a commis et il ment délibérément à Michael Shannon et à
Tony / Edward. Il en va de même pour Susan qui n'assume pas tout de
suite ce qu'elle a fait (lorsqu'elle avorte, elle se réfugie dans les
bras de son nouveau mari, et pleure). Elle essaye d'oublier le passé
en conservant sa force et son caractère, mais le passé la rattrape.
Et si dans la fiction, c'est Tony qui représente la vengeance (et qui
réclame justice en poursuivant les responsables de la mort de sa
famille), dans la réalité c'est Edward qui revient dans la vie de
Susan et c'est son livre qui est une forme de vengeance.
-Ensuite, et c'est là où c'est peut être le plus intéressant, lorsqu'à la fin du roman, Tony tue Ray, cela signifie que Tony n'a
pas pardonné à Ray (Susan) et qu'il a tué son amour pour elle à
jamais. Il l'oublie en la tuant, en montrant qu'elle n'est plus rien
pour lui. Et l'un des moments les plus forts du film et qui étaye ma
théorie est lorsque Ray, juste avant de mourir, insulte Tony d'être
"faible". Le revoilà ce sacré mot! Ce mot que prononcent Susan et sa
mère en désignant Edward, qu'elles considèrent (finalement) toutes
les deux comme un esprit faible. Et Edward montre à quel point il
n'est pas faible en tuant Ray. C'est un gros moment de symbolisme,
ça.
-Alors vous vous demandez peut être pourquoi Edward ne vient pas à la fin du film. Mais si vous avez compris ma théorie, alors vous savez
pourquoi. Susan est morte pour Edward, il nous l'a fait comprendre à
travers son roman, et le fait de ne pas venir étaye la dernière scène
du roman où il se tue. On peut l'interpréter de deux façons
différentes. Soit il meurt pour elle, et donc le fait de tuer Susan
le désoriente et il ne peut vivre sans elle, soit au contraire le
fait de la tuer et de se rendre fort lui permet de se détacher de
tout et se tuer signifierait alors ne plus exister pour Susan. Un
fantôme de son passé.
Beaucoup de choses peuvent être dites à propos de Nocturnal Animals. Si vous vous interrogez sur quelque chose concernant le film, je serai ravi d'en discuter avec vous, et peut être de suivre vos théories différentes de la mienne.
Un grand film, sans aucun doute.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2017 au ciné : Anthologie de toutes mes envies de 2017 que je dois regarder, Les plus belles claques esthétiques, Les meilleurs films avec Jake Gyllenhaal, Les meilleurs films de 2017 et 2017 : Vous ne devinerez jamais quels films j'ai vu cette année... (le 100ème va vous surprendre!!)
Créée
le 20 janv. 2017
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