Sixième et avant-dernier long-métrage, l’ultime étant Le Sacrifice, Nostalghia est comme lui : moins estimé, voir même, en-dehors de tous les classements des meilleurs films de l’Histoire des cinéphiles encartés. Ces deux films sont tournés après son exil de Russie. Après avoir parcouru plusieurs endroits d’Europe, Tarkovski s’installe finalement en Italie en 1982. Il avait effectué les repérages pour Nostalghia dès 1979 et commence alors à le tourner. Ecrit avec le scénariste de Antonioni (Blow Up, Profession reporter), Tonino Guerra, le film est partiellement autobiographique. Il reflète la nostalgie des russes exilés et suit un homme et une femme lors d’une excursion dans un village d’Italie, construit autour d’une piscine thermale très ancienne.
Le résultat est une méditation sur la mémoire, la notalgie bien sûr, la place au monde, prolongeant la quête mystique de Stalker, déjà dans le recueillement comme Le Sacrifice, sans les gesticulations dérisoires de ce dernier. Au lieu du surréalisme théâtreux de ce dernier, un spectacle d’une grande beauté formelle, grâce à ces monuments et à la mise en scène très sophistiquée de Tarkovski, manifestement sous influence (comme Le Sacrifice, sous celle de Bergman). Le contexte est brumeux, comme toujours. Nostalghia passe du noir et blanc à la couleur, d’un champ à l’autre, en plusieurs circonstances, rendant parfois la narration limite.
L’intérêt de la balade est ailleurs,dans ces personnages et leurs divagations, leurs pensées fugaces au milieu d’une action. Le style de Tarkovski est propre à mettre en valeur ces moments de déconnexions où nous sommes à la fois le pied vissé à la terre la plus plate et la tête dans des songes où se mêlent inconscients privé et collectif, souvenirs et événements immédiats. Ces moments-là arrivent généralement quand Gortchakov ou Eugenia sont séparés et se perdent dans un quelconque décors, parfois accompagnés d’un interlocuteur plus ou moins gardien des lieux. Mais l’ensemble du film baigne dans cette atmosphère éthérée et est marqué par les allez-et-venues des deux membres de ce couple, se retrouvant finalement dans un dernier acte grandiloquent, où on verra un prophète déçu s’immoler.
Comme Andrei de Andrei Roublev, les deux protagonistes principaux traversent les époques et les lieux en donnant de leur personne. Au début, Eugenia incarne le matérialisme et le rationalisme régnant. Elle se trouve entourée par des gens en quête d’un semblant d’éternité : ceux qui prennent ou ont pris leurs délires pour la vérité objective (peur d’un apocalypse), ceux venant pérenniser la jeunesse de leur corps via les bains, etc. Le désenchantement dans Nostalghia est très fort, n’est pas social ou politique, il pourrait être qualifié d’existentiel, mais il s’agit surtout de trouver une certitude intérieure, qui puisse être liée au-dehors, s’installer dans ce monde jamais plus confortable que lorsque l’unité et la paix y ont gagné, que ce soit dans l’ordre ou la désolation. L’ambiance est peut-être mélancolique, mais il n’y a pas de pessimisme ou de dégoût, plutôt la reconnaissance d’une certaine solitude éternelle.
Nostalghia a une allure plus modeste que la plupart des autres opus de Tarkovski. C’est pourtant son film le plus joli d’un point de vue esthétique et celui osant le plus clairement s’attribuer un contenu, travailler des thèmes relativement clairs sans laisser des suspensions idiotes (Solaris étant le champion dans l’exaltation de cette manie). Il est radical mais ses plans-séquences sont plus habités, les spéculations sont fondées, même si la plus grande précision des contours pourra frustrer certains analystes. La beauté de certaines scènes confine à la majesté, notamment l’ouverture à la campagne, terreuse et semi-irréelle, le passage dans l’abbaye et celui de la pièce où tombe la pluie. C’est mon Tarkovski préféré.
https://zogarok.wordpress.com/2014/11/14/nostalghia/
Autres films de Tarkovski :
http://www.senscritique.com/film/Stalker/critique/25761519
http://www.senscritique.com/film/Le_Miroir/critique/33099857
http://www.senscritique.com/film/Solaris/critique/27025390
http://www.senscritique.com/film/Andrei_Roublev/critique/31251040
http://www.senscritique.com/film/L_Enfance_d_Ivan/critique/34013439