Only lovers left alive, dernière œuvre de Jim Jarmusch, est une ode à l’amour intemporel, un hommage à l’immortalité de l’art, racontant avec un désenchantement presque maladif mais amoureux, cette perte d’imagination de l’Homme, cette façon de corrompre son esprit et de contaminer son corps. Tous les ingrédients qui font la spécificité et l’excentricité dandy du réalisateur sont présents dans cet Only Lovers Left Alive, à commencer par cette bande son dépressive composée par Jozef Van Wissem et SQÜRL. Cette musique accompagne les moindres pas de deux vampires cultivés, les faisant naviguer à travers les avenues lumineuses mais vides de Détroit ou les ruelles phosphorescentes de Tanger. Lui est un musicien talentueux mais torturé, composant dans le silence le plus total, voulant se cacher des humains (« zombies ») qu’il méprise de plus en plus. Elle, habite Tanger mais fait ses bagages à Detroit pour le rejoindre alors qu’il est proche de la déprime et du suicide. Durant la ballade funambule de ces deux êtres de la nuit, qui ont presque tout vu et tout connu à travers les âges, Only Lovers Left Alive se laisse porter par son souffle court, planant au gout hallucinogène de cette « merveille » de sang, écrivant son histoire par petites touches avec une lenteur hypnotique, naviguant entre recherche de sang pour se nourrir et sorties nocturnes romantiques comblées de références artistiques. Avec un vague à l’âme attendrissant, cette touche d’humour légère faite de digressions sur l’Histoire de l’humanité, Jim Jarmusch dessine les contours de ce couple qui se complète comme aucun autre. Comme avec Memphis pour Mystery Train, le réalisateur capte les petites parcelles de vie de villes en ébullition ou en perdition, optant pour un récit contemplatif voire sensorielle sur certaines séquences. Inspiré, le réalisateur offre avec Only Lovers Left Alive un écrin visuel d’une classe folle, avec décors élégants -appartement artistique ou salle de concert envoûtante-, une mise en scène à la finesse maline, et une photographie magnifique. Parler du film sans mentionner la classe et le charisme de ses deux acteurs, serait ne pas rendre justice à Tidla Swinton et Tom Hiddelston. Ils forment un couple à la symbiose presque parfait à l’écran, duo fait de noir et de blanc, de pessimisme et d’optimisme, avec un côté poseur dandy presque magnétique. Derrière ce duo vampirique, se cache aussi une amertume, celle du réalisateur, qui se transpose presque dans le personnage d’Adam. Cette sœur turbulente qui vient de Los Angeles « la capitale des zombies », la peur de voir l’art dans les mains du succès et des conventions, ce monde où l’Homme vaporise ses denrées (l’eau), on y voit ici l’œuvre d’un artiste, qui ne comprend pas forcément le monde dans lequel il vit. Le récit n’a pas de route toute tracée, se laisse bercer au gré du vent, regardant au plus près des étoiles, avec ce rythme presque léthargique, et se consumant à petit feu sous une pleine lune éclatante mais sachant renaître grâce à la beauté de la vie qu’il nous est donnée de voir. Only Lovers Left Alive est en perpétuelle pesanteur, offrant une œuvre fantomatique et crépusculaire, à la classe folle et à la simplicité oisive.